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9 mai 2009 6 09 /05 /mai /2009 16:04
          Qu’est ce qu’un classique ? c’est quelque chose d’impérissable, d’indémodable, d’assez permanent pour se distinguer d’emblée des variations et s’imposer comme toujours valable. Le classique n’a pas besoin d’être à la mode, il est toujours vivant, comme immédiatement et définitivement contemporain. Par là même, le classique est une mise en forme du monde, qui installe d’emblée l’important, et le distingue du secondaire, du superflu, du futile : le classique établit un ordre, il distingue, il sépare, il n’aime pas trop les flous et les mélanges, il n’aime pas la confusion. Le classique ordonne le monde, et n’hésite pas un instant à établir des hiérarchies et des séparations fondatrices, qui semblent aussitôt presque évidentes et naturelles. Le classique aime ce qui est simple, clair et distinct. Descartes est classique, Corneille est classique, Calvin d’abord était classique.

          On dira que le classique c’est la France : mais ce serait voir midi à notre clocher. Chaque culture a ses formes classiques, ses moments classiques. Ce sont des moments où l’on aime d’abord la clarté, comme dans la philosophie de Kant, où l’on apprend à distinguer les types de discours en fonction des questions auxquelles ils répondent. Ce sont des moments où chacune de nos facultés connaît ses limites, et s’y tient. Ce sont des moments où l’on cherche avant tout la simplicité. Il y a un moment classique dans la culture grecque, de Sophocle à Platon, un moment d’équilibre qui nous semble après coup presque parfait, entre les forces de la nuit et celles du jour. Et la Torah elle même, c’est à dire la Loi, est peut-être ce qu’il y a de classique dans notre ancien testament, par opposition avec les livres prophétiques ou les psaumes, par exemple. Elle aussi elle dit la permanence.

          Or cette permanence est parfois contestée, ébranlée. Il y a des moments dans l’histoire, dans la littérature, dans la société, où l’on n’en peut plus de cet ordre. Des moments où la séparation classique des genres, le tragique d’un côté, le comique de l’autre, la science d’un côté, la foi de l’autre, le masculin et le féminin, etc, nous étouffent. Comme si une réalité plus confuse mais plus réelle tentait de se frayer un chemin. L’apôtre Paul mélange les genres, Augustin mélange les genres, et Shakespeare propose des tragi-comédies qui font voir une condition humaine plus réelle plus complexe, plus bancale. On a même pu dire que toutes les avancées dans la représentation de la réalité étaient dues à de tels mélanges, qui permettaient de voir ce qui jusque là était invisible : que les gens ordinaires pouvaient vivre des tragédies, et pas seulement les grands de ce monde ; qu’une méditation philosophique pouvait porter la supplication d’une prière, et pas seulement la réponse à une interrogation ; et qu’un grand film de fiction pouvait dire plus sur l’épouvante des carnages que les livres d’histoire les plus exacts.

          Mais nous sommes aujourd’hui dans un temps de mélange général des genres. Quand nous regardons la télévision aujourd’hui, nous ne savons plus quand nous avons affaire à un journal d’information, à une fiction, à un documentaire, à une publicité, à un discours politique, ou à une prédication. Nous ne savons pas quel est le contrat implicite, nous perdons les repères. On peut dire cela de presque tout ce qui nous environne. Et même pour les shakespeariens comme moi qui adorons les brouillages, il est un temps où pour qu’il y puisse y avoir de vrais mélanges il faudrait refaire les séparations, les classiques distinctions. Ce temps là semble aujourd’hui venu. Il nous faut retrouver un minimum de classicisme, qui nous permettrait de refaire la différence entre l’important et le secondaire, réintroduire un peu de syntaxe dans les discours, et comprendre de quoi il est question. C’est pourquoi j’ai voulu proposer, par méthode, l’éloge d’un minimum de classicisme.
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9 mai 2009 6 09 /05 /mai /2009 15:58
Longtemps les Hommes m'ont dégoûtés. Je me suis cru souvent dans l'obligation de les imiter. Et je les ai imités. Désormais c'est fini : je veux ma mort quand je n'aime plus. Je ne veux plus mourir du rien qui submerge trop souvent nos idylles, et depuis trop longtemps, sans que plus rien ne les empêche d'être mortelles, sans que rien ne leur donne raison. La folie n'est plus notre lot et nous disparaissons du manque de déraison d'amour. Les curés s'en réjouissent. Et les pasteurs, aussi. Les banquiers, les psychiatres, les journalistes, les politiques ; tout le monde s'en réjouis, surtout l'enfer.
           
           Que faut-il faire pour étouffer le flot toujours plus menaçant de l'inaction des âmes et de leur mort ? Combattre à coup de folles amours les insensés qui de toutes parts surgissent à nos émois, et nous les volent pour les anéantir.
           
            De la folie d'amour, qu'est-ce qu'on a fait ? Cette fadeur qui nous étouffe et qui nous tue. Il faut que cela cesse. Il nous faut vivre éternellement la grâce et ne plus avoir peur. Toujours être pour l'autre ce que l'on est vraiment. Ne pas dire non, jamais. Et puis s'abandonner, brûler de tous les feux ; à en mourir. Et en mourir. De l'énergie qui en découle créer le beau. Sans concession, s'abandonner à l'autre. Émouvoir la nature au point de la faire suffoquer peut-être.
           Car enfin, pourquoi donc on s'obstine à dire que l'on ne s'aime pas ? C'est quoi ce besoin de pleurer seul, cette peur ? C'est le mystère.
           On meurt des temps figés, des questions inutiles, des engagements faciles. Mais rien n'empêchera jamais les méchants d'être méchants, la bête immonde d’être à certains vitale, le malsain d'être immuable. L'arme absolue ne combat plus que l'innocence et, pacifiés, nous sommes l'agneau face au couteau.
           C'est la mélancolie qui nous sauvera, un jour, tout à la fin, de tout ce miasme incohérent et sans visage, de cette horreur qui fait pleurer, de cette souffrance. C'est de cette paix qu'il nous faut, le coeur attendri de soi-même et des autres, de cet appel où tout s'effondre pour renaître.
 
           C’est comme une révolte, comme un orage une nuit d’été, comme des larmes retenues et essuyées au bord de l’œil, comme une colère rentrée : rien n’a changé, tout est resté. Tout s’est enraciné, là, bien fermement, dans une terre durcie par le soleil. Ce soleil qui pourtant nous donne aussi l’amour, les fleurs et l’arc-en-ciel des vraies couleurs du monde. Des vraies lumières du monde. Lumières éternelles de nos espoirs, de nos esprits, de nos talents. Arc-en-ciel de larmes et de soleil que l’on voudrait voir faire tous les miracles dont il est capable.
            
           Nous serons toujours forts de nos pleurs. C’est de ces pleurs que vient la renaissance possible de nos amours bafoués, la solidité de notre foi en l’Homme, de nos espoirs les plus fous. André Breton écrivait dans Arcane 17 : « aimer d'abord, il sera toujours temps, ensuite, de s'interroger sur ce qu'on aime ». Puis il décrivait la forme unique que  pouvait prendre la réalisation du rêve auquel il aspirait : « le mystérieux, l'improbable, l'unique, le confondant et l'indubitable amour ». C'est ainsi qu'il parlait du magique instant de la rencontre. C'est ainsi qu'il parlait aussi pour moi du formidable don de Dieu. En particulier de l'une des formes que prend parfois le don de Dieu : du don foudroyant qui entre, presque avec violence parfois, au plus profond de nos fausses tranquillités et de notre assurance pleine d'orgueil. Un don qui sans cesse peut renommer l'Amour et peut le voir de nouveau paraître évident, incontournable, inévitable même. Ainsi, que le surréalisme nous soit contemporain ou non, on sait qu'il est de fort bon ton de ne plus croire en rien et que toutes les idéologies se meurent. Aimer l'Amour à mort est une folie, aimer l'Amour tout simplement est imbécile : voilà ce que l'on entend, voila ce sur quoi tout est sensé se fonder, se construire.
 
            Matérialisme et pragmatisme : voila bien le nerf de la guerre. Puisque c’est désormais partout la guerre. Pour combler le besoin de pragmatisme de certains dirigeants. Leurs besoins d’inaptes à la folie tout autant qu’à l’amour. Inapte à dessiner des traits autres que droits, inaptes aux lignes courbes. Inaptes aussi à la compréhension de la complexité de l’âme humaine, à la compréhension de la complexité des flots d’amour, que peut toujours porter cette âme, de ses capacités à désirer autre chose que les cloisonnements primaires dans lesquels on voudrait l’enfermer. Citons André Breton, toujours : « Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas. Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. A nous de ne pas en mésuser gravement. Réduire l’imagination à l’esclavage, quand bien même il y irait de ce qu’on appelle grossièrement le bonheur, c’est se dérober à tout ce qu’on trouve, au fond de soi, de justice suprême. La seule imagination me rend compte de ce qui peut-être, et c’est assez pour lever un peu le terrible interdit ; assez aussi pour que je m’abandonne à elle sans crainte de me tromper (comme si l’on pouvait se tromper davantage) ». Plus loin : « le surréalisme, tel que je l’envisage, déclare assez notre non-conformisme absolu pour qu’il ne puisse être question de le traduire, au procès du monde réel, comme témoin à décharge. Il ne saurait, au contraire, justifier que de l’état complet de distraction auquel nous espérons bien parvenir ici-bas. […] Cet été les roses sont bleues ; le bois c’est du verre. La terre drapée dans sa verdure me fait aussi peu d’effet qu’un revenant. C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs ». Cet homme aura décidément tout dit de notre modernité, dès 1924. Il ne fut pas le seul à prendre au corps la folie de la première guerre mondiale, de ce massacre organisé. Que rajouter à tout cela ? Si ce n’est démontrer l’actualité de ces propos. Pour cela, c’est à nous de lancer l’offensive des utopies, des idéologies.
 
            C’est dans ce cadre que je veux tout à la fois exprimer, sans y parvenir jamais pleinement, une révolte saine tout autant qu’une sagesse nécessaire à l’élaboration de plans d’avenir, de perspectives possibles. De rêve à réaliser. Car il est possible de réaliser nos rêves. Nous en avons, nous, les moyens. Or, ce que l’on attend de nous, peuples autochtones, c’est de ne plus rêver. Ne plus rêver d’amours immortelles, ne plus se souvenir de nos belles années, celles où nous étions jeunes et forcement surréalistes. Et l’on ose désormais nous opposer le pragmatisme, clef de voûtes des discours de l’ensemble de nos dirigeants : il faut être pragmatique. Alors que nous n’avons que faire d’une réalité qui soit monolithique, puisque la réalité n’est pas monolithique, et nous n’avons que faire du pragmatisme qui ne peut qu’étouffer nos vies, malmener nos espoirs, dilapider froidement toute réelle probité intellectuelle. Ce que nous devons imposer, au demeurant, c’est l’utopie. Une utopie de l’amour du prochain, du respect de l’autre ; une utopie facteur de développement d’une humanitude toujours plus digne. Car j’ai connu la misère, le désespoir, la décadence de l’Homme riche à foison. J’ai connu l’absurdité, l’internement psychiatrique, la pauvreté réelle. J’ai vu l’Homme. Et puis j’ai constaté soudain que l’on pouvait mieux faire. Que l’Homme pouvait mieux faire. Cela m’a rendu bien mélancolique de tout ces espoirs vaincus, tout cet amour bafoué, tout ce silence rompu par des phrases assassines, par des actions de haine. Alors même que les Hommes de paix sont légion. Alors que nous nous aimons. Oui, nous nous aimons. Tout le reste n’est que mauvais détournement de ce qui reste l’acte premier : l’Amour.
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5 mai 2009 2 05 /05 /mai /2009 19:21
J’ai dans la tête un morceau de Schubert : « la jeune fille et la mort ». Et je repense à ces moments passés à espérer autre chose que la misère pour mes semblables et moi-même. Et pour toutes ces jeunes filles en fleur que j’ai connues, croisées, aimées. Parfois dans le malheur. Mais malgré les risques de chagrins inéluctables, parfois l’espace d’un jour, parfois l’espace d’une seconde, j’abandonnais tous mes rêves de grandeur pour l’insouciance d’une journée passée sous le soleil immense de la langueur. Depuis, ma faiblesse a fait que je n’y ai pas changé grand-chose, et que je reste inapte au bonheur. Je ne puis donc rien regretter – tout autant de mes égarements que de mes échecs. Mais ceux des autres, leurs malheurs et leurs douleurs, puis-je les ignorer ? Non.

          Alors il me vient cette idée de me battre. Me battre contre l’ignominie, contre tout ce nazisme ambiant, tout ces tocards qui nous gouvernent et nous commandent. Ces tocards qui nous commandent : chacun peut en faire chaque jour le tour. Mais constamment ? Est-ce réellement tenable de se laisser mourir pour la paix du bourgeois bienveillant ? Faut-il appeler au crime ? Faut que celui qui reste notre prochain, malgré le fait qu’on l’exècre, meure de notre envie de faire justice pour les innocents dans l’incapacité de se défendre ? Ou bien faut-il se tuer soi-même ? C’est ici, toujours, notre extrémisme qui empêche notre folie. Puisque ce que j’écris là je ne puis décemment l’écrire sans me justifier, sans que la violence des mots ne me soit encore reprochée, sans que l’on me condamne pour homicide envers moi-même. Ou pour incitation au suicide collectif. Aucun jour pourtant ne se fait sans ce que j’appel la belle démonstration de l’homme en blanc, mon curé de campagne favoris : « tu te dois, gamin, de mourir à toi-même, mais non point vouloir que l’on te tue par désespoir ou par folie d’aimer ! ». La belle démonstration que déjà l’on opposait à Goethe dans ces « souffrances du jeune Werther ». Comme à chaque époque, en 1774, il ne faisait pas bon vouloir mourir, ne serait-ce que d’amour. Ou simplement, à force de misère visible, vouloir sauver celui qui reste encore un temps.

          Ce soir j’ai réuni tout mes restes d’espoir : ils sont proches du néant. J’aurais décidément tout vu : je marchais tranquillement sur le port de Marseille lorsque j’ai soudain réalisé que la connerie me suivait partout. Au point qu’il m’était impossible de croire qu’elle pu émaner d’autre part que de moi-même. Stupeur ! Je suis un bel imbécile, complet, bien reluisant. Il n’est d’autre possibilité.

          Mais faisons tout de même le tour des choses : il se trouve désormais sur le marché des chats génétiquement modifiés qui ne provoquent pas d’allergies et qui pour cela sont vendus deux milles cinq cents euros. Nous ne parlons jamais de la Chine. L’Amérique continue de faire rêver. Les anglais vote Tony Blair. Nous votons Chirac lorsque nous ne votons pas Le Pen. On vend des bombes au Pakistan. L’Afrique s’anéanti chaque jours un peu plus sous le poids de l’impérialisme. Kadhafi parade. On voudrait nous faire croire que Yasser Arafat n’est mort que d’une cirrhose. La paix du monde ne sera jamais réalisable. On nous soutient que nous avons bien raison de ne plus laisser traîner les trisomiques dans la rue. On se moque de l’antarctique et de sa fonte inéluctable. Des femmes meurent encore, ici comme ailleurs, de violence conjugale. On massacre les tigres. Des enfants meurent sous les bombes de la folie de Donald Rumsfeld. J’ai faim. On m’emmerde.

          Nous n’irons plus au bois : les lauriers sont coupés.
          On nous prend pour des cons.
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1 mai 2009 5 01 /05 /mai /2009 02:02

          Nous sommes dans un temps où l’on n’existe qu’en multipliant les connexions, les projets, les contacts, les courriels et les coups de fil. Et les possibilités techniques liées à l’internet et à la téléphonie mobile ont bouleversé nos liens, notre sens de l’espace et du temps, l’organisation psychique et presque physique de nos besoins, et jusqu’à nos formes de fidélité. Nous reparcourons régulièrement la liste de nos amis, de nos proches et de nos lointains, de nos correspondants, et nous devons de temps en temps réactiver les contacts pour bien manifester que nous sommes là, que nous existons, que nous n’avons pas lâché le lien. C’est paradoxal pour une société fondée sur l’émancipation, sur la faculté de se délier. Mais c’est ainsi que va la société de réseaux, une société où tout bouge tout le temps, où il n’y a plus rien de solide, où tous les liens peuvent être déliés, et où rode l’exclusion. Malheur à ceux et celles qui n’activent pas leurs connexions, ils sont voués à disparaître peu à peu des carnets d’adresses, à disparaître peu à peu du monde commun. Notre besoin frénétique d’être branchés, de relancer nos attaches, traduit peut-être notre angoisse d’être abandonnés, désafiliés, inutiles et inemployés.
              
          Aujourd’hui, quelqu’un qui a un grand carnet d’adresses, qui reçoit des messages de toutes parts et qui en renvoie dans toutes les directions, c’est quelqu’un de bien, quelqu’un d’important. Ce que je me demande d’abord, c’est si ce n’est pas une des formes les plus terribles de l’aliénation, si la forme prise par notre société n’est pas un vaste mensonge qui nous fait croire que nous n’existerions pas sans devenir nous-mêmes une boule nerveuse de liens qui doivent s’accumuler et rester tous ensemble sans cesse possibles. Ce n’est pas seulement que par ce biais nous sommes de plus en plus dépendants de nos téléphones portables et de nos branchements, auxquels nous sacrifions une part croissante de nos budgets, de notre énergie, de notre temps — dans une véritable addiction, une drogue qui voudrait des doses de plus en plus fortes de temps de connexion. C’est que ceux qui sont vraiment les « maîtres » savent se cacher dans ce brouillage, laisser mourir les connexions inutiles, et ne garder que les connexions qui comptent.

           
          Ce que je me demande ensuite, et surtout, c’est si tout cela ne trahit pas plus encore un manque de confiance. Après tout, si nous étions plus fidèles, nous aurions aussi plus confiance dans la fidélité des autres, nous aurions moins besoin de montrer tout le temps que nous sommes fidèles. Nous aurions moins besoin de réactiver sans cesse les liens, les projets, les e-mails, les SMS, les coups de fils et les contacts. Ainsi, une présence presque sans contact pourrait aussi attester la possibilité d’une fidélité toute autre, d’un autre rythme, d’un autre rapport au temps et aux autres que cette société frénétique. Elle attesterait une tout autre proximité. Oui, je crois qu’il nous manque un peu de cette fidélité tranquille, qui serait un bouleversement aujourd’hui inimaginable de nos modes de vie.
           
          Pour trouver le chemin de cette fidélité, il nous faudrait reconnaître, inventer mais aussi découvrir ce que sont nos attachements. Depuis plusieurs siècles, nous n’avons cessé de vanter les mérites de l’émancipation, de l’autonomie par laquelle un individu rompt avec les liens qui le tiennent en servitude ou en domesticité. Nos vrais liens devaient être des liens librement choisis. J’ai moi-même une grande admiration pour cette invention d’affinités électives, de libres alliances, de libres-attachements, qui a fait la grandeur de la modernité. Mais est-ce que l’émancipation véritable n’est pas justement de reconnaître que nous avons des attachements qui demeurent toujours déjà-là, de reconnaître que nous ne saurions vivre sans porter en nous des fidélités presque enfantines, et plus radicales que toutes les connexions que nous nous choisissons ? Et qu’est-ce justement que la sortie de la minorité, sinon la faculté de gratitude, la faculté de reconnaissance ? C’est alors que nos attachements seraient vraiment libres, et non cette frénésie de connexions qui nous démène.
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1 mai 2009 5 01 /05 /mai /2009 01:40
          La société française, probablement assez représentative de l’ensemble des sociétés européennes,  semble apeurée, frileuse, et demande plus de sécurité. Et c’est bien le « génie » (bon ou mauvais) de l’actuelle politique que de tout miser sur cet axe, et de rappeler qu’il n’y a pas de liberté, d’égalité, de fraternité, de prospérité, sans d’abord la sécurité. C’est ici qu’apparaît une première perplexité, et on aimerait que cet ordre de priorité ne soit pas placé hors de la discussion politique. Car il peut arriver dans l’histoire que la liberté, ou la solidarité, passe avant la sécurité. C’est une question d’époque. Mais pourquoi notre temps justement est-il à ce point hanté par l’insécurité ? Mon but dans les lignes qui suivent ne sera pas tant d’apporter de l’eau au moulin de l’actuelle politique, ou de la critiquer, que de tenter de comprendre ce qui nous arrive, et qui est plus profond que nous ne croyons souvent.
Aux débuts des temps modernes, Hobbes pensait que la sécurité était le pilier central de l’État. N’est-elle pas en effet le profond ressort de la « servitude volontaire » dont parlait peu avant La Boétie ? N’a-t-il pas toujours fallu à l’État, et à nos cités sécurisées, la peur d’un ennemi dont nos démocraties préventives plus que jamais nous protégeraient ? C’est que la modernité a été jusqu’au bout de son ressort, et même nos villes ont changé de visage. Jadis nous y cherchions la liberté anonyme et la confiance aux liens les plus détachés. Aujourd’hui c’est la sécurité et la confiance des liens de proximité que nous recherchons. Cela suppose une certaine clôture, et nous sommes au temps des « gated communities », des municipalités et des quartiers qui referment leur sentiment d’appartenance sur la convexité intérieure des liens préférentiels et des affinités choisies.

          Nous avons le même retournement dans la forme de nos guerres mondialisées. Naguère nous étions les puissances agressivement sûres d’apporter la liberté et le progrès. Aujourd’hui (et pour nous depuis déjà la première guerre mondiale) nous ne cherchons plus qu’à maintenir un « statu quo » face à tous ceux qui, « perdus pour perdus », ne voient plus de salut que dans la transformation du monde par la force, que cette force soit celle de la technique qui transgresse notre condition, ou celle de la galvanisation psychique qui nous rend insensible à la douleur (Hobbes lui-même ne montrait-il pas que le plus faible peut toujours infliger au plus fort, juché très haut sur son fragile système technologique, des nuisances insupportables ?) C’est donc ici mon hypothèse, que la course à la sécurité technique introduit de nouveaux risques d’accidents, plus menaçants, mais nous fait croire qu’il y aura toujours une nouvelle solution, plus puissante encore. Elle nous déshabitue à vivre avec les problèmes : or les grandes questions de la vie en commun sont insolubles, il faut juste « vivre avec ». Comme le remarquait merveilleusement le philosophe américain du début du 19ème siècle, Emerson : « chaque précaution contre tel ou tel mal nous met sous l’emprise de ce mal » !

          Mais je voudrais élargir encore le regard, car je pense que ce besoin de sécurité, qui peut certes être augmenté et manipulé, désigne aussi un très légitime sentiment de fragilité, qui n’est pas seulement celle de notre civilisation, mais tout simplement le sentiment de la fugacité de la vie, et du caractère éphémère des oeuvres humaines. C'est ce peu de durabilité qui nous chagrine, et la tentation de donner de solides réponses à ce sentiment ne fait que l¹augmenter ! Le principal lieu de notre perdurance, la filiation, le désir d’assurer la transmission, l’héritage, semble aujourd’hui tellement vulnérable. Qu’est ce qu’une société où la plupart n’ont à vrai dire rien à transmettre, ou bien ne parviennent pas à transmettre ce qu’ils estiment avoir de mieux ? Qu’est ce qu’une société où les successeurs ne veulent même plus hériter ? Qu’est-ce qu’une société qui n’assure pas un cadre plus durable que nos vies éphémères ? Pourquoi cette incertitude sur la durabilité des institutions, des habitudes, des bâtiments ? Dans le bref temps de nos existences nous avons vu les formes de nos villes, de nos paysages, de nos habitats, de nos objets les plus usuels, changer plus vite que nous-mêmes. Notre nervosité n’est pas très étonnante. Il faudrait au moins assurer à chacun, obligé à tant de mobilité, quelque chose comme la sécurité de base d’un habitat inaliénable. Et renforcer le sentiment que le monde commun est un théâtre plus durable que nos existences fugitives, et que les enfants de nos enfants y trouveront leur place.

         Au lieu d’assurer à chacun et à toute cette certitude de l’habitat, nous voyons chacun renforcer son habitacle. Comme avec cette mode des très grosses voitures, qui se promènent dans nos cités et par nos routes comme des tanks : ne faut-il pas assurer d’abord la sécurité de nos chères têtes blondes ? Et si la sécurité passait par le sentiment d’une vulnérabilité acceptée et le plus possible partagée et répartie ? Je n’aurai pas de mot assez cinglant contre cette morale qui conduit le monde sous l’injonction générale d¹un « après moi le déluge », car nous avons certainement moins besoin de sécurité que de courage, de capacité quotidienne à payer de notre personne. Mais le courage lui-même a aujourd’hui besoin d’être rassuré, de se sentir autorisé. Comme si il nous fallait trouver le rythme et l’équation entre ces deux temps indissociables et complémentaire, le temps de sortir de soi, et le temps de se défendre ; le temps d¹ouvrir,  de décloisonner,  d’échanger, de butiner, et le temps de s’immuniser, de cloisonner, de sauvegarder, de jardiner. C’est le blocage sur l'une de ces postures qui engendre les monstruosités de l’autre.
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29 avril 2009 3 29 /04 /avril /2009 20:35
           J'ai longtemps cru que c'était moi. On me disait « tu ne sais pas dire non », et même si ce n'est pas très exact, je dois reconnaître que j'ai une sorte de foi intime dans la faculté de dire oui à tout en même temps, d'augmenter la densité des existences, l'imbrication mutuelle de leurs rythmes. J'ai cru ensuite que c'était parce que j'étais protestant, un perfectionniste, une sorte de libre-travailleur dont toute la vie devrait se passer à rendre grâce, à équilibrer par la masse superflues des actions de grâces l'infime et éblouissant « trou noir » de la grâce ! Puis j'ai pensé que c'était parce que j¹étais parisien, pris dans les obligations mirobolantes d'une société de cour et le vertige de ses trop nombreuses opportunités. Enfin je me suis simplement dit que c'était parce que j'étais un intellectuel, dont le métier consiste à tisser inlassablement la langue commune, à répéter les mêmes mots selon toutes les connexions possibles, ce qui fait beaucoup.
Maintenant je ne crois plus rien de tout cela : dans tous les milieux, dans tous les métiers, je rencontre des sujets à la limite de la surcharge, incapables de supporter le nombre de « demandes » auxquelles ils doivent répondre. Incapables de soutenir à eux seuls autant de connexions. Nous sommes comme ces joueurs placés dans un jeu virtuel où, ayant réussi à renvoyer correctement une balle, on vous en envoie trois, huit, quinze : on se fend en quatre, on y arrive, on s¹améliore, mais soudain non, c¹est vraiment pas possible, on craque, on ne peut plus. Nous  ne parvenons plus à comprendre ce qui nous arrive ni à sentir ce que nous faisons. C¹est ainsi que nos contemporains « disjonctent » de temps en temps, un par un, sans parvenir à s'arrêter, et tranquillement à s'arrêter ensemble.

          Cela s'est passé doucement. Nous avons déployé la liberté de choisir nos combinaisons, nos conditions. Puis nous avons compris que cette liberté déterminait une augmentation extraordinaire de la responsabilité, et nous avons célébré l'avènement de l'individu responsable, capable de s¹impliquer en même temps dans plusieurs jeux, de se plier simultanément de lui-même au plaisir et à l¹excellence de plusieurs règles. Alors nous avons compris que cette liberté pouvait être angoissante, et que cette responsabilité pouvait être épuisante. C'est bien là quelque chose comme le rythme intime de notre découragement général.

          Mais je pense désormais que ce qui nous arrive est plus grave que cela. Car le découragement est simplement humain, et il fait partie du courage. Or ici nous avons affaire, nous le sentons physiquement, à quelque chose qui est probablement inhumain. Le processus d'ouverture généralisée des communications entre toutes les entités capable de recevoir et d¹émettre (personnes privées, institutions de toutes sortes, médias, musées, bibliothèques, laboratoires, entreprises, administrations, etc.), à l¹échelle de la planète entière, ne peut plus prétendre promouvoir l'humanisme, la gentillesse de l'échange ni la communication sans entrave qui n'exclurait personne.

         C'est un processus communicationnel d'essence technologique et connectique, qui est en train de prendre son Développement (c'est le nom que l'on donne à la chose) tout seul et de manière autonome par rapport à tous les intérêts de l'humanité. C'est un processus qui a commencé à pousser au détriment de la vie, des vertébrés, des mammifères et des humains pour libérer peu à peu sa complexification (sa faculté de tenir compte du maximum d'éléments de l'environnement et d'obliger le maximum d'éléments de tenir compte de lui), de gré ou de force. C'est un processus inhumain, qui a déjà commencé à abandonner comme inutile une partie de l'humanité (le quart monde de la misère), et une partie de nos corps (remodelage des sexes et de la génération, télécommunications et techniques d'identification implantées dans le corps, neurosciences, etc.). Ce processus « manage » peu à peu la forme de nos sociétés et de nos existences, pour préparer ceux d'entre nous qui pourront encore lui servir à quitter une condition terrestre d¹avance condamnée.

         Certes un intellectuel parisien et protestant a quelque raison de sentir physiquement la contrainte de ce processus, qui a déjà rétabli dans presque tous les métiers l'antique dualité du maître et de l¹esclave. Mais un entrepreneur bouddhiste ou une paysanne brésilienne éprouvent la même accélération, et soudain le même doute. Mais pour qui, pour quoi travaillons nous, nous agitons-nous, nous forçons nous ainsi ? On croit parfois identifier le tyran, le coupable de cette mortelle pression. Ce peut-être le marché, l'argent, l'audimat, l'État, Dieu, un patron, un conjoint, le futur, le passé, que sais-je ? On rompt avec lui, on le jette le plus loin possible. Et rien n'a vraiment changé. Nous sommes tous subjugués par ce joueur de flûte qui nous entraîne où nous ne savons pas, nous avons seulement eu le temps de comprendre que cet inhumain-là n'est pas Dieu.
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26 avril 2009 7 26 /04 /avril /2009 09:38
Les débats sur la construction européenne auront du moins permis à certains de tomber les masques. Et de nous faire profiter du spectacle. Pas réjouissant. Un parlementaire européen – italien – vient de nous faire partager ses hautes vues théologico-oiseuses : « je ne dis pas que l’homosexualité soit un crime, mais je pense qu’il s’agit d’un péché ». Nous voilà bien fixés sur les combats qu’il reste à mener, notamment contre l’obscurantisme catholique et les influences qu’il garde au sein des instances dirigeantes. Cette pensée qui pousse certains à définir l’Europe comme un club chrétien, ou plus précisément comme un club catholique, devient le rempart de ceux qui ont peur. C’est une pensée frileuse qui renaît. Devant la peur de l’autre, le différent, certains pensent trouver en une forme de christianisme le moyen de se réchauffer, le moyen de rester entre soi, bien au chaud de ses certitudes, que certains disent millénaires. Le huguenot, que j’ai choisi d’être, fulmine.

          Non ! L’Europe ne peut être un club chrétien. Elle est à la croisée de christianismes multiples bien sûr, mais aussi d’humanismes, de lumières, de droits de l’Homme, de formes différentes de laïcité. Elle est bien d’autres choses encore. Et son histoire, sa construction n’est en rien d’origine médiévale, loin s’en faut. Car n’en déplaise au sacristain qui passait ce jour-là, ce sont les rails de la SNCF qui font, ont fait, la France qui nous occupe au sein de cette Europe. Ce sont les écoles communales et leurs professeurs, pas celle de monsieur le curé. Ce sont les bureaux de poste. Et ce sont ces bureaux de poste, ces écoles et ces voies ferrées qui feront l’Europe de demain – services publics qu’il nous faut d’ailleurs absolument protéger contre les attaques dont ils sont sans cesse l’objet. Mais le sacristain – toujours lui, bien sûr – ne voit que son chemin, que son idée. Il n’a que faire des bureaux de poste. Il n’a que faire, même, d’un autre christianisme qui ne voit pas en l’homosexualité un péché ou quoi que ce soit d’autre. Mais le sacristain veut son Histoire. Il n’à que faire de l’air du temps.

          Quoi qu’il en soit, avec comme dirigeants des personnages à ce point rétrogrades et entêtés, nous aurions bien raisons de nous alarmer sur la teneur des débats à venir. Rien de bien joyeux au demeurant, et il ne fera pas bon parler de liberté de conscience dans une Europe à la pensée sclérosée par son manque de mémoire ou par sa mauvaise foi. En effet, par une telle déclaration : «  je ne dis pas que l’homosexualité soit un crime, etc.… », ce sont beaucoup de nos valeurs qui s’effondrent. Venue de l’un de nos dirigeant, à fortiori de l’Europe d’aujourd’hui, de demain, la déclaration peu donner des sueurs froides bien au delà des frontières que certains veulent donner à cette Europe. Nous n’avons plus rien à craindre de la Turquie, c’est sûr : tout est déjà là de nos inquiétudes, si nous en avions. Aux dernières nouvelles, un autre parlementaire européen – italien, lui aussi – exprime son désir de ne plus voir de femmes à l’écran, passée une certaine heure !!!

          Nous avons donc à préserver, sans rire : la liberté de conscience, la liberté de ne pas se voiler la face, même tard le soir, la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, la liberté de choisir son partenaire, la liberté de confier nos gosses à des professeurs de la République, la liberté de ne pas s’agenouiller devant une croix, la liberté de divorcer, de se remarier, la liberté d’être enterré comme on le souhaite, la liberté de se moquer de tout, la liberté d’être rose, rouge, vert, jaune ou mauve, la liberté de rire, la liberté de vivre. La liberté de dire au curé de service de retirer sa soutane dans les lieux sacrés de la république. Et de ne pas souiller ces lieux sacrés de paroles homophobes et sexistes.
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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 18:34

          Le plus grand péril qui nous menace, me semble-t-il, n’est pas celui des nouvelles guerres de religion. Comme le remarquait Nietzsche, elles montrent au moins que les peuples peuvent avoir des idéaux et prendre les idées au sérieux ! C’est au contraire, comme on l’a remarqué souvent et j’enfonce ici avec aisance une porte ouverte, l’illusion de croire que l’on peut changer de religion comme de chemise, zapper de l’une à l’autre, dans une sorte de tourisme perpétuel. Comme si un billet d’avion pour le Népal, un superbe documentaire sur le chamanisme yakoute, ou même la lecture assidue des poètes soufis, suffisait à nous faire passer de l’autre côté de l’horizon, suffisait à déplacer les bornes du moi. Malheureusement le touriste le plus intrépide transporte encore l’exiguïté de son moi avec lui, et l’élargissement du moi n’a rien à voir avec la multiplication des déplacements. Théodore Monod, resté un petit protestant français alors qu’il a tant marché sous les cieux du Sahara, disait qu’il n’avait pas encore assez gravi son propre côté de la montagne pour contempler les autres côtés !


          Je dis tout cela pour que l’on prenne au sérieux (mais sans aller jusqu’à la guerre sainte !) ce que je souhaite dire maintenant, car je voudrais faire un éloge de la conversion. Toute démarche religieuse, aussi fidèle soit-elle et peut-être d’autant plus, comporte quelque chose comme une conversion intime et radicale. Cette conversion peut être discrète, et passer au début inaperçue de la personne elle-même, comme si elle avait atteint un point de retour, un point à partir duquel elle revient sur ses pas, se retourne et mesure l’importance de ses attachements. Cette conversion peut être fracassante, comme une rupture, la résiliation de tout ce dont on ne veut plus, la déliaison avec le poids d’un passé ou d’une dette, une fidélité effrayante qui nous fait sombrer, qui va nous noyer ! La fidélité vive connaît la tempête, le point de non-retour ou l’inversion de la boussole après lequel on ne sait plus si l’on est chez soi ou ailleurs : où donc est-on chez soi ?

          Si je fais un éloge de la conversion, c’est que la foi n’est pas pour moi une question d’identité. Il y a des moments où l’identité n’est vraiment pas ce qui importe ! La réduction sociologique  actuelle des religions à des problèmes d’identité est vraiment dérisoire : qu’est-ce que Dieu peut avoir à foutre de nos petites identités ! Je ne prône pas pour autant, on l’aura compris, un éloge de la conversion « comme de chemise » ! Certains pratiquent ce sport cosmétique avec entrain. Mais quand on est « born again » pour la quatrième fois, un peu comme la madeleine de Proust qui finit par perdre sa puissance d’évocation, la conversion peu à peu se désenchante. C’est peut-être que l’on n’a pas pris au sérieux l’importance et la difficulté de l’abjuration.

          Or il est impossible de faire un éloge de la conversion sans faire un éloge de l’abjuration ! C¹est pour moi un caractère central de la foi chrétienne que la possibilité d¹abjurer - et l’histoire entière de l’Occident est marquée par le déploiement de cette possibilité qui était inscrite sur le programme de départ. Le « droit » de rompre, l’autorisation proprement théologique de se délier d’un voeu, d’une promesse qu’on ne veut plus tenir, est pour moi une forme du pardon, et peut-être ce qui donne à toute promesse sa véritable force. Les apôtres n’ont-ils pas tous été des « traîtres » ? Mais n’y a-t-il pas un point à partir duquel la fidélité comprend la trahison ? En tous cas, et plutôt que de passer l’abjuration par pertes et profits de la mauvaise conscience, nous devons faire ensemble l’éloge de ce « droit de sortir » sans lequel le droit d’entrer perd son sens, son libre don de soi. Et nous devons prendre l’abjuration avec sérieux et délicatesse : on n’abjure pas comme on change de chemise !
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19 avril 2009 7 19 /04 /avril /2009 14:01
Paul Ricœur
Penser en faisant converser les traditions
 
Olivier ABEL, professeur de philosophie éthique à la Faculté protestante de Paris, membre du Comité Consultatif National d’Ethique et de la revue Esprit, préside le Fonds Ricœur.
 
Parce qu’il portait en lui-même l’interminable conversation de la philosophie et de la foi, de la critique et de la conviction, il a su faire dialoguer les plus grandes traditions de pensée
 
          Paul a deux ans, en 1915, à la mort de son père, tué dans la bataille de la Marne. Sa mère étant morte lors de sa naissance, il est élevé par ses tantes qui habitent Rennes. Protestantes, elles lui transmettent leur foi. Ricoeur dira plus tard l'avoir reçue par hasard, mais avoir transformé ce hasard « en destin, par un choix continu ». Il concevra toujours la religion comme une langue dans laquelle on se sent chez soi ; ce qui implique de reconnaître qu'il puisse y avoir « d’autres langues parlées par d’autres hommes ». Cet orphelin se passionne pour l'esprit critique des philosophes modernes comme Spinoza, Kant et les Lumières. Il intériorise ainsi très tôt le conflit entre l'esprit critique de ces derniers et la foi convaincue de son milieu. Loin de vouloir réduire cette opposition, il maintient en tension ces deux points de vue. C'est là une attitude fondatrice. Agrégé en 1935, il enseigne la philosophie et se passionne pour l'oeuvre de Husserl, un juif allemand fondateur de la phénoménologie (une attitude philosophique qui consiste à appréhender la réalité telle qu'elle se donne à voir). Mobilisé dans l'armée française, il est capturé par les Allemands en 1940. S'en suivront cinq années de captivité dans un camp de prisonnier en Poméranie. Ce sera pour lui le lieu de toute une évolution politique, de la vision antilibérale qui caractérisait les chrétiens de gauche avant-guerre, à un ralliement à la démocratie devant l'horreur nazie.
          
          Au sortir de la guerre, il entreprend une réflexion sur le mal et sa symbolique. Cela le conduit à s'intéresser aux interprétations divergentes qui en sont faites. Professeur à la Sorbonne, il entame son travail sur Le conflit des interprétations. Chaque texte, qu'il soit un livre biblique ou une tragédie grecque, peut être l'objet de deux types d'interprétations. L'interprétation « archéologique » voit dans le texte l'effet superficiel d'une réalité plus profonde ou antérieure. L'interprétation « poétique » dégage le sens ouvert par le texte et projette devant lui un monde inédit. A la différence de la première, souvent réductrice, elle est créatrice et suscite l'action. La première se rapproche de l'esprit critique, la seconde de l'attitude de foi. Toutefois, comme dans sa jeunesse, Ricoeur considère que la vérité ne consiste pas à trouver un accord, mais à entretenir un dialogue, jamais achevé, entre elles.
      
          De là découle sa façon de ne s’exprimer lui-même qu’en faisant dialoguer les autres, en respectant la discontinuité des points de vue et des registres (philosophique, théologique, littéraire, prophétique...). Autour des grandes questions, il confronte les philosophies allemande, anglo-américaine, et française. Puis il les met elles-mêmes aux prises avec leurs sources littéraires ou bibliques, et les soumet à un débat serré avec la psychanalyse, la poétique, l’histoire, le droit. Dans le domaine éthique, il fait dialoguer les visions ancienne et moderne : la vision aristotélicienne, appuyée sur le sens des vertus et visant à la « vie bonne » et la vision kantienne, appuyée sur le sens de la règle juste, qui nous empêche de faire aux autres le mal que nous ne voudrions pas qu’on nous fasse. Puis il montre comment, face aux situations tragiques de nos vies, cette conversation aboutit à une sagesse pratique qui se sait provisoire. Devons-nous, par exemple, accepter la violence qu'exerce l'Etat contre l'individu ou renoncer à ce que la justice ait les moyens de faire respecter ses décisions ?
        
          Tout en reconnaissant les bienfaits d’une civilisation planétaire qui serait porteuse d’un « raisonnable » universellement communicable, à travers les sciences, le droit, les sagesses, il souhaite la préservation de l’irréductible pluralité des cultures, des langues et des religions. Seule la diversité peut permettre la conversation à travers laquelle la vérité se laisse percevoir. « Pour avoir en face de soi un autre que soi, il faut avoir un soi », affirme-t-il ; d'où l'importance d'être ancré dans une tradition. Toutefois, il ne conçoit pas les cultures comme figées. Ce qui fait selon lui leur valeur est leur capacité à s'enraciner dans le passé « pour inventer ». Dès les années 1950, en pleine guerre froide, il a souligné, avec une lucidité prémonitoire, le double péril qui menace aujourd'hui le monde : d'un côté une mondialisation brutale des échanges, de l'autre les replis identitaires. Etablir une connivence entre ce que les cultures ont de plus singulier, de plus vif et de plus créateur, était pour lui la grande tâche des générations à venir. Et il est à ce titre significatif de voir l'intérêt que son oeuvre suscite en Amérique latine, aux Etats-Unis où il a enseigné, aussi bien qu'au Japon. Devenu une autorité intellectuelle et morale majeure depuis les années 1980, Paul Ricoeur a poursuivi ses conversations jusqu’en 2005 dans sa demeure de Châtenay-Malabry.
 
 
 
Philosopher par temps sombres
1913 Naissance à Valence suivi de la mort de sa mère
1915 Mort de son père
1935 Agrégation de de philosophie
1940-1945 Prisonnier en Poméranie
1956-1964 Professeur à la Sorbonne, rejoint la revue Esprit, puis l’Université de Nanterre
1969-1970 Doyen de la faculté des Lettres, il combat la rupture entre la contestation et l’institution
1970-1985 Enseignement à l’Université de Chicago
1980-2000 Retour au premier plan de la vie intellectuelle par la publication de ses grands ouvrages, La métaphore vive, Temps et Récit, Soi-même comme un autre, Mémoire, Histoire, oubli.
2005 Mort à Châtenay-Malabry
 
 
Citation :
«  L’homme, c’est la joie du Oui dans la tristesse du fini. »
 
Extrait :
« Lorsque la rencontre est une confrontation d'impulsions créatrices, une confrontation d'élans, elle est elle-même créatrice. Je crois que, de création à création, il existe une sorte de consonance, en l'absence de tout accord. C'est ainsi que je comprends le très beau théorème de Spinoza: "plus nous connaissons de choses singulières, plus nous connaissons Dieu". C'est lorsqu'on est allé jusqu'au fond de la singularité, que l'on sent qu’elle consonne avec toute autre »
 
 
LE FONDS RICŒUR REPREND LA CONVERSATION
 
Appel à contribution
Le philosophe a légué sa bibliothèque et ses archives à la Faculté de théologie protestante de Paris, où il avait jadis enseigné. Un appel à contribution es lancé pour mettre cet ensemble à la disposition des nombreux étudiants et chercheurs du monde entier, mais aussi d’un public toujours plus large. Pour que chacun se sente chez soi au Fonds Ricœur, il faut construire un étage de bibliothèque avec des espaces de travail, ouvrir l’atelier du philosophe et monter un centre de recherche capable de faire rayonner sa pensée. Pour participer à ce projet, vous pouvez adresser votre soutien (déductible de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune) à l’ordre de : "Fondation Paul Ricœur", 83 boulevard Arago, 75014 Paris.
 
VISITER
www.fondsricoeur.fr
Le site internet du Fonds Ricœur, qui présente la pensée de Ricœur et sa bibliographie intégrale, offre des textes inédits en ligne, propose un forum et un agenda des colloques et publications, et explique le projet de construction du Fonds Ricœur.
 
LIRE
On peut commencer par le livre d’entretiens avec François Azouvi et Marc de Launay, La Critique et la Conviction (Hachette, 8,40 €).
La plupart des grands livres de Ricœur (La métaphore vive, Temps et Récit, Soi-même comme un autre, Mémoire, Histoire, oubli) se trouvent en collection de poche.
Le Fonds Ricœur est en lien avec les éditions du Seuil pour poursuivre une édition de textes épuisés. Ont ainsi déjà été publiés ses derniers fragments sur la vie et le deuil : Paul Ricœur, Vivant jusqu’à la mort, Paris : Seuil, 2007.
 
VOIR
Paul Ricœur, Philosophe de tous les dialogues
Ce DVD du film documentaire réalisé par Caroline Reussner, produit par F2, comprend des bonus, il sera disponible à partir de février au prix de 35 €

 

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17 avril 2009 5 17 /04 /avril /2009 18:24

          C’est une des choses amusantes dans les déclarations publiques qui apparaissent çà et là depuis quelques années que l’usage qui y est fait du remords et de la repentance. Nous nous repentons pour avoir détruit Carthage, réduit en esclavage une cité aztèque, massacré 3000 huguenots lors de la Saint Barthélémy, ou chassé d’Irlande par la misère un ou deux millions de catholiques. Chacun aura d’ailleurs à l’esprit les exemples de sa préférence, car de telles « politiques de la mémoire » peuvent être le fait des États qui veillent jalousement sur leur légende officielle, mais aussi des Églises, bientôt des partis, et de n’importe quelle communauté historique ayant à survivre au traumatisme fondamental de la génération. Avec le remplacement des générations, en effet, apparaît la nécessité de faire face à l’oubli, et l’obligation de faire mémoire, peut-être d’autant plus que l’on oublie.


          Ce qui est amusant là-dedans, c’est le fait curieux que naguère l’essentiel des politiques par lesquelles nous faisons mémoire (puisque la mémoire collective est une reconstruction après coup) tournait autour des malheurs dont on avait été victimes et des gloires dont on avait été l’acteur. C’était déjà assez drôle, ces protestants français d’aujourd’hui qui se souviennent avec beaucoup de netteté et un brin d’indulgence de l’époque où ils étaient persécutés. Mais aujourd’hui cette figure s’est inversée, et il semble essentiel à une bonne politique de la mémoire (et de la communication) de faire valoir cette gloire en quelque sorte négative d’avoir beaucoup contribué à l’histoire des malheurs subis par d’autres et à l’histoire générale du malheur. Comme si nous ne parvenions plus à faire mémoire de manière crédible autrement. Vous les catholiques, évidemment ; vous avez fait pas mal d’atrocités. Mais voyez, nous les protestants, comme nous sommes horribles : nous avons mis l’Europe à feu et à sang quand vous avez voulu nous chasser d’entre vous, nous avons réduit les États à n’être que des contrats révisables, nos iconoclastes ont tout saccagé, nous avons pris une grande part au désenchantement du monde, nous avons brutalement colonisé par nos utopies le reste du monde, Etats-Unis, Afrique du Sud, Océanie, nous avons partout introduit l’individualisme puritain qui a ruiné les murs, et le capitalisme ne se serait pas déployé sans les profondes modifications liées à notre éthique. Voyez comme nous sommes importants. Mais bien sûr, nous nous en repentons. Nous ne le ferons plus (on aurait du mal !), et nous pouvons aider à ce que cela ne se refasse plus jamais.

          Ce qui est légitime dans ces politiques du remords, c’est qu’elles s’appuient sur une citoyenneté de la mémoire : la mémoire commune n’est pas l’addition ni la transmission continue de mémoires personnelles ; mais le geste politique par lequel nous nous déplaçons pour aller prendre notre part de la charge de malheurs passés comme de l’honneur des bonheurs passés. D’autant que tout n’est pas passé, que les menaces et les promesses peuvent être rouvertes par les chagrins et les joies actuelles. Mais ce qui échappe à ces politiques du remords, c’est le petit ébranlement que devrait donner le sentiment du ridicule. Qui suis-je pour me donner l’importance de tout ce passé ? Est-ce bien « nous » qui avons fait tout cela ? Si je manifeste un tel remords pour quelque chose que je n’ai personnellement pas fait, que je n’aurais pas pu faire, est-ce que cela ne finit pas par nous anesthésier par rapport au malheur qui vient, et auquel, sous la forme d’autres responsabilités collectives qui ne savent pas encore dire « nous », nous continuons de tout notre aveuglement ? Le remords véritable, loin d’une telle surenchère, nous dispose prudemment à revenir à notre modeste présent pour en tirer ensemble le meilleur parti possible.
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Proposition

          De la folie d'amour, qu'est-ce qu'on a fait ? Cette fadeur qui nous étouffe et qui nous tue. Il faut que cela cesse. Il nous faut vivre éternellement la grâce et ne plus avoir peur. Toujours être pour l'autre ce que l'on est vraiment. Ne pas dire non, jamais. Et puis s'abandonner, brûler de tous les feux ; à en mourir. Et en mourir. De l'énergie qui en découle créer le beau. Sans concession, s'abandonner à l'autre. Émouvoir la nature au point de la faire suffoquer peut-être.
          Car enfin, pourquoi donc on s'obstine à dire que l'on ne s'aime pas ? C'est quoi ce besoin de pleurer seul, cette peur ? C'est le mystère.
          On meurt des temps figés, des questions inutiles, des engagements faciles. Mais rien n'empêchera jamais les méchants d'être méchants, la bête immonde d’être à certains vitale, le malsain d'être immuable. L'arme absolue ne combat plus que l'innocence et, pacifiés, nous sommes l'agneau face au couteau.
          C'est la mélancolie qui nous sauvera, un jour, tout à la fin, de tout ce miasme incohérent et sans visage, de cette horreur qui fait pleurer, de cette souffrance. C'est de cette paix qu'il nous faut, le coeur attendri de soi-même et des autres, de cet appel où tout s'effondre pour renaître.

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