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19 mars 2009 4 19 /03 /mars /2009 10:01
Olivier Abel est membre du conseil consultatif national d'éthique. Il est professeur de philosophie à l'institut protestant de théologie de Paris.



            Au risque d’ennuyer, je crois utile de prolonger la réflexion collective engagée dans le sillage des propos de Ratisbonne. Notamment parce que Benoît XVI a introduit un ton de franchise qui tranche avec la langue œcuménique des gentilles accolades. Il s’adresse à l’autre, il s’expose et s’exprime. Sans peut-être mesurer avec assez de responsabilité les possibles conséquences de ses propos. C’est qu’il n’est pas d’abord un homme d’Etat mais un théologien bourré de convictions : les protestants ne sauraient s’en plaindre. Je ne traiterai donc pas tant de l’aspect politique de ses propos, que de leur aspect proprement théologique, car c’est justement sur ce plan là que je suis pour ma part perplexe, déçu et même inquiet.
            Nous avions la chance d’avoir un Pape intellectuel et intelligent. Et voici qu’il revendique pour la seule voie romaine l’héritage de la Grèce et de l’hellénisme chrétien. On a pu pointer le déni de la voie du monde orthodoxe, ainsi que des christianismes orientaux, les premiers à souffrir concrètement des émois musulmans. On a noté le déni implicite des maillons arabos-musulmans dans les transferts de rationalité de la Grèce vers l’Europe. Bref, on ne comprend pas comment le Pape ose faire des grandes unités si simplistes que « la pensée grecque », « la pensée biblique ». Comme l’écrivait Ricœur contre ces oppositions manichéennes, « compliquons, compliquons tout ! » Le geste qui isole et revendique la bonne généalogie est mortifère, et les Pères sont aussi pères d’autres que nous, de même que nous avons aussi d’autres pères que ceux dont nous portons le nom, les généalogies sont toujours mêlées. Dès le moyen âge il y a eu plusieurs aristotélismes, plusieurs platonismes, et tout au long de l’histoire il y a eu plusieurs hellénismes. Celui de la renaissance franco-italienne n’est pas celui du romantisme allemand. Le geste de refondation des colonies puritaines est peut-être plus grec que celui de prétendre continuer sans hiatus la fondation romaine, et même les cortèges post-modernes que le Pape vitupère rouvrent peut-être quelque chose de la religiosité grecque la plus classique.
            L’intelligence de ce discours du Pape est à chercher ailleurs. C’est une affaire intra-occidentale, un règlement de compte interne, et Benoît XVI s’y prononce en fait bien plus sur l’Occident que sur l’Islam, qui cache ici la Réforme. En réaffirmant la continuité entre le logos grec et le christianisme romain, il reproche à la Réforme d’avoir rompu l’analogie de Dieu avec la raison, et affirmé une transcendance trop radicale, une volonté de Dieu trop arbitraire. C’est donc un discours qui vise la tradition nominaliste, Luther, Calvin, mais aussi bien Pascal ou Kierkegaard, une manière de se rapporter à un Dieu de volonté et d’amour, et non à un Dieu de rationalité trônant au sommet d’une théologie naturelle inclusive qui comprendrait aussi la morale et la science. Il dénonce, c’est le plan central de son discours, trois vagues de deshellénisation : celle de la Réforme, celle de la théologie libérale issue des Lumières avec son entreprise de démythologisation, et enfin la vague actuelle de pluralisme et de relativisme religieux. C’est donc le protestantisme, avec son double spectre des utopies sectaires et de l’individualisme consommateur, qui est visé. C’est normal : nous n’avons pas assez conscience que le protestantisme est la religion mondialement dominante, celle qui porte le péché du monde actuel. Et le Pape prône le retour à la civilisation de l’Occident chrétien latin, sous les applaudissements plus ou moins discrets de tous ces athées dévots et néo-maurassiens qui font les gros bataillons des intellectuels aujourd’hui.
            Il prétend ne pas congédier la modernité mais l’élargir. C’est ce que je voudrais examiner. Son reproche à la Réforme d’avoir trop affirmé une altérité absolue de Dieu, et d’avoir ainsi déchaîné l’arbitraire et la violence, se heurte à une réalité historique : c’est cette affirmation qui a ouvert un rapport respectueux aux autres et au monde. L’impossibilité de convertir par la force n’est-elle pas ce discours de tolérance soutenu par Bayle et Locke, et justement réalisé d’abord dans les Pays-Bas, et la Révolution puritaine n’a-t-elle pas affirmé ce droit de dissidence ? Après tout, la synthèse romaine de la raison et de la foi n’avait-elle pas permis à Bossuet de faire entrer de force les protestants français dans le giron de la « seule vraie église » ? Par ailleurs je veux bien que l’affirmation de la transcendance et l’élimination du finalisme ait ramené au chaos les grandes constructions des cosmologies scolastiques : mais il faut parfois accepter de perdre les formes pour les retrouver autrement, et on n’aurait pas eu Descartes sans Calvin, ni Newton ni Leibniz. Et ce que Benoît 16 refuse de voir c’est que Kant ne propose pas un rétrécissement de la raison, mais sa pluralisation, car il existe des types de vérités et de jugements, des registres de discours différents. Or c’est aussi bien une idée aristotélicienne, et la lecture par Calvin de la Genèse non comme cosmologie mais comme poème à la gloire du Créateur est une condition de l’élargissement d’une raison qui renonce au discours unique qui répondrait à tout. N’est ce pas en distinguant les registres, en ne mélangeant pas trop vite la raison scientifique, la sagesse morale, la gratitude de la foi, que nous évitons les pseudos synthèses théologico-moralo-scientifiques, toujours dangereuses ? Et n’est-ce pas ce qui nous inquiète dans le néo-créationnisme comme dans les théories néo-islamistes ? Si c’est cela l’amplitude de la raison que Benoît 16 appelle de ses vœux, bonjour la régression !
            Au nœud de notre débat se tient le sens du logos, dont il fait une raison-être-vérité Une. Mais le logos est foncièrement parole, l’humain est originairement deux, conversation, et non pas monologue. Dieu est relation. Benoît 16, dans son refus du pluralisme et du conflit intérieur, a refusé de renoncer au monopole de la vérité. Je ne crois heureusement pas qu’il soit représentatif de l’ensemble des catholicismes. Face à un pensée grecque réduite à cette conception statique du logos comme raison, on voudrait soutenir, avec des penseurs de l’Islam médiéval que le Pape fustige, mais aussi avec une longue tradition juive, que Dieu n’est heureusement pas tenu par sa propre parole, et que nos prières peuvent le délier de ses promesses et de ses menaces. Comme le notait Ricœur, Eschyle ne montre-t-il pas comment le Dieu tragique des Érynies est changé dans le Dieu miséricordieux des Euménides ? Ce logos là ne nous en dit-il pas plus sur les humains, et sur Dieu ?
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18 mars 2009 3 18 /03 /mars /2009 19:05
Le dialogue et l’échange sont les valeurs suprêmes et irréductibles de la laïcité tout comme elles le sont de la démocratie. En aucun cas ces valeurs ne sauraient être l’apanage de telle ou telle des religions pratiquées sur notre territoire ou bien encore de toute forme d’athéisme ou d’agnosticisme. Elles sont, ces valeurs, indissociables d’une foi inconditionnelle en la tolérance et le respect de l’autre. Elles sont un humanisme. Elles sont un espace de liberté construit par les larmes et le sang de nos anciens. Ces valeurs de liberté totale de conscience ne peuvent être remises en cause par un ensemble restreint d’individus. Pourtant elles font l’objet d’attaques incessantes et leur remise en cause est encore le fait de belliqueux, ouvrants la porte à nombre de conflits, de batailles inutiles. Nous ne saurions tomber dans ces travers et nous laisser submerger par ceux qui voudraient les mettre à mal, les voir s’effondrer.
En 1905, devant la toute puissance de l’église catholique, les représentants des confessions protestantes et israélites, notamment soutenus par l’ensemble des forces humanistes, ont fait fléchir le pouvoir en place afin que chacun puisse être libre de penser ce que bon lui semblait et puisse exercer son propre culte ou démarche intellectuelle ou spirituelle. Cela ne coulait pas de source, loin s’en faut. Ce combat fût un combat de longue haleine, dont l’origine remonte à la nuit des temps : longtemps la liberté de conscience ne fût qu’un doux rêve, quand elle n’était pas le fait de guerres sanglantes. Dans les années vingt, nombres de penseurs, d’écrivains, de poètes ont sué leurs lignes et phrases pour préserver les acquis, en créer d’autres et pour élaborer les fondations de notre contemporanéité. Depuis ces années-là nous pouvons constater que leurs efforts furent prolongés par d’autres penseurs, d’autres poètes, mais aussi d’autres militants. Des militants de chaque jour, des militants du dialogue et du maintien des acquis. Contre toute remise en cause des libertés chèrement acquises. Aujourd’hui, je peux me rendre à la messe, au culte protestant, dans une synagogue, une mosquée ou bien encore une loge maçonnique. Je peux aussi ne croire en rien et ne vouloir d’aucunes de ses démarches spirituelles ou humanistes. Il ne faudrait pas sous estimer le fabuleux don qui nous fût fait par ceux qui ont combattu pour que nous nous levions chaque matin sans le poids d’une croix, d’une équerre ou d’un voile. Mais aussi la liberté de voir en cette croix, cette équerre ou même ce voile, une forme de liberté possible. Nous touchons là peut-être aux limites de notre conception de la liberté. Voilà pourquoi le dialogue seul, long, mesuré et pesé peut nous sortir de l’ornière communautariste et rétrograde. Nous sommes tous concerné par ce piège tant nous y plongeons souvent, sans bien vraiment en être conscients : tel est athée qui ne manque pas de s’effondrer devant la majesté d’une cathédrale ou la finesse des mosaïques et du jardin de telle ou telle mosquée, tel autre, agnostique, s’émerveiller face à l’étrange transcendance de l’amour, tel positiviste constater l’irréel des objets qui l’entourent.
Bien sûr l’athée peut apprécier le beau, l’agnostique sans nul doute être amoureux, et le positiviste rêver ce qui l’entoure : c’est que le beau, l’amour et l’ineffable création nous sont offerts, à tous, et ce dans la plus belle des gratuités. Pour le dialogue et l’échange, nous sommes partout certains de trouver l’amour plus que la haine, la fraternité plus que la guerre, la beauté plus que l’horreur. Dés lors que nous le voulons bien.
Car il y a toujours cette fille qui passe dans la rue, ce soleil, ces gosses qui hurlent à la vie, ces ballons qui volent. Et si le bonheur était tout près de nous ?
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Proposition

          De la folie d'amour, qu'est-ce qu'on a fait ? Cette fadeur qui nous étouffe et qui nous tue. Il faut que cela cesse. Il nous faut vivre éternellement la grâce et ne plus avoir peur. Toujours être pour l'autre ce que l'on est vraiment. Ne pas dire non, jamais. Et puis s'abandonner, brûler de tous les feux ; à en mourir. Et en mourir. De l'énergie qui en découle créer le beau. Sans concession, s'abandonner à l'autre. Émouvoir la nature au point de la faire suffoquer peut-être.
          Car enfin, pourquoi donc on s'obstine à dire que l'on ne s'aime pas ? C'est quoi ce besoin de pleurer seul, cette peur ? C'est le mystère.
          On meurt des temps figés, des questions inutiles, des engagements faciles. Mais rien n'empêchera jamais les méchants d'être méchants, la bête immonde d’être à certains vitale, le malsain d'être immuable. L'arme absolue ne combat plus que l'innocence et, pacifiés, nous sommes l'agneau face au couteau.
          C'est la mélancolie qui nous sauvera, un jour, tout à la fin, de tout ce miasme incohérent et sans visage, de cette horreur qui fait pleurer, de cette souffrance. C'est de cette paix qu'il nous faut, le coeur attendri de soi-même et des autres, de cet appel où tout s'effondre pour renaître.

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