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23 octobre 2009 5 23 /10 /octobre /2009 01:33

          La tolérance est communément définie aujourd'hui comme étant la capacité d'un individu à accepter une chose avec laquelle il n'est pas d'accord. Ce sens est acquis grâce au développement de valeurs et de normes morales multiples (l'autorité d'une vie peut ainsi avoir plusieurs sources reconnues comme valides : la raison, Dieu, la nature, etc.).


          Mais
au temps de la Réforme, nous découvrons que la définition de la tolérance n'était pas aussi « libérale » que la nôtre, et qu'elle n'allait pas de soi. Par exemple, Castellion, un ex-ami de Calvin, avec qui nous partagerions aujourd'hui volontiers sa conception de la tolérance, était une exception en son genre. Après la condamnation à mort de M. Servet à Genève, il écrivait cette formule célèbre : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle ».


          Or, comme certains de ses contemporains, Calvin était loin d'être un modéré. Pour lui, la « vérité chrétienne » était une chose entière, sans compromissions possibles. Ainsi, la liberté religieuse, au sens de la coexistence entre des confessions et des religions différentes, était impossible pour lui. A titre d'exemple, nous pouvons évoquer le cas Michel Servet, mis à mort pour hérésie, à cause de son reniement des dogmes de la Trinité et de la divinité du Christ.


          Cependant, la pensée de Calvin contenait bien des germes d'une conception de la tolérance. L'un d'entre-eux peut être découvert dans le chap.19 du livre III de l'institution de la Religion Chrétienne (édition de 1561), intitulé « la liberté religieuse ». La notion que nous allons présenter ici est celle de la « liberté de conscience ». Faisons deux remarques :


  •           Il ne faudrait pas comprendre cette liberté comme une individualisation de la conscience. Celle-ci est soumise à l'opération intérieure du Saint Esprit, véritable Autre de la conscience, qui se dédouble en une relation entre Dieu et nous. Le premier fruit de cette liberté de conscience, c'est la relativisation des oeuvres. Mais ce n'est pas une relativisation totale : il y a un absolu, Dieu.


  •           Ensuite, le contexte de notre chapitre est le suivant. Lorsque Dieu nous a donné la grâce, le pardon de tout ce qui pèse sur la personne humaine, celle-ci doit exprimer extérieurement le don qu'elle a reçu. Ainsi, la liberté de conscience ne peut commencer et s'achever en un face à face ininterrompu entre Dieu et nous-mêmes. La grâce ne se réduit pas à un rapport subjectivité (la conscience) – objectivité (Dieu). La conscience doit remercier Dieu, par des actions de grâce et en se sanctifiant avec un comportement conforme au don reçu. Ce point pose la question suivante : comment vivre collectivement cette grâce ? Or, en vertu de cette liberté de conscience qui ne porte pas d'autre absolu que Dieu, nous ne pouvons pas imposer aux autres notre propre conception de la liberté par rapport aux choses dites « indifférentes » à la conscience. Le seul critère est l'édification mutuelle.


Or, comment pourrions-nous intégrer aujourd'hui cette « liberté de conscience » au milieu de nos vies ?

  • D'abord, elle pourrait se constituer comme nerf critique de toute autorité qui se pose de manière absolue. A condition de remarquer une limite à l'usage de la liberté de conscience, qui est de taille : le risque de la monopolisation de la « vérité chrétienne » dans le champ de la réalité. Il faudrait en effet que s'affirment une pluralité d'autres configurations éthiques, avec pour chacune d'entre-elles, des valeurs de références différences, afin d'éviter d'être enfermés dans une idéologie.

  • La liberté de conscience est aussi un principe éthique, qui pose la question de ce qui est important : est-ce faire et imposer ma « loi » qui se présente comme une liberté, qui s'affirme contre d'autres libertés, ou bien construire une éthique du comportement dont le critère serait de faire progresser chacun (à condition que ce ne soit pas dans la même direction … un autre versant de la monopolisation de la « vérité chrétienne » … mais anticipée par Calvin par la notion de liberté de conscience qui préfigure l'autonomie au sens kantien : devenir des êtres véritablement majeurs, capables d'avoir une opinion propre qui aurait interrogé sa validité).

  • Ensuite, la « liberté de conscience » pose la question de la relation de l'individu à autrui. La présence d'un Autre dans la conscience fonde la liberté individuelle, mais en même temps, sur la base de la dialectique grâce/gratitude, nous sommes projetés dans un horizon habité par autrui.

  • Enfin, nous pouvons bénéficier d'un rapport neuf à la création. Nous sommes invités à ne pas nous contenter d'un usage unique, isolé, utilitaire des choses du monde. En effet, la liberté de conscience va de paire avec la référence à Dieu. Cela implique de ne pas sombrer dans l'idolâtrie, dans la jouissance de la chose pour elle-même, mais de la ramener à son origine, et ainsi permet de relativiser, de désacraliser ces choses-là, de laisser de la place pour autre chose.

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15 octobre 2009 4 15 /10 /octobre /2009 10:59

        Qui n’a jamais tremblé à l’écoute des récits terrifiants sur le « Jugement dernier », ce fameux jour où la sentence divine frappe les actes humains pour les sanctionner ou les récompenser ? Et inversement, qui n’a jamais imaginé ce que pouvaient être les délices du Paradis ou les affres de l’Enfer ? Ces deux lieux, où vient s’échouer à la fin l’existence humaine, sont au cœur des représentations des croyants sur l’au-delà - des représentations qui sont pour l’essentiel communes aux trois religions révélées. Elles tiennent une place fondamentale dans le pacte qui lie les hommes à Dieu, puisqu’elles promettent un jugement final qui viendra rappeler aux hommes leurs manquements à ce Pacte si manquements il y a eu.


          Ce Jugement dernier, et donc décisif, donne du sens à ce que l’homme a fait durant sa vie. La perspective d’un jugement, remis entre les mains d’un Dieu qui décide seul et irrévocablement, donne du sens à ce qui pourrait ne pas en avoir, à l’absurde d’une vie vouée à se terminer un jour. L’homme devient ce qu’il a fait. Chaque homme, quels que soient son rang ou son prestige, devient digne exclusivement de ses actes personnels, ceux dont il est responsable, qui sont validés ou invalidés par le jugement « dernier ». Lequel jugement ne saurait appartenir à l’homme, car sinon il serait tout-puissant, maître du Bien et du Mal. Or, justement, il ne l’est pas.


          Mais qui dit « dernier » reporte ce Jugement au temps de Dieu, dans un « ailleurs » qui n’appartient pas au temps des hommes. Tout est renvoyé en un lieu et un temps où le croyant peut fonder le sens d’une existence qui, elle, se passe aujourd’hui. Ce que promet le jugement (le Paradis ou l’Enfer) est la projection des plus grands désirs ou des plus grandes craintes de l’homme. Ce sont des images, des représentations symboliques, qui tentent de décrire ce qui pour l’homme est indicible. Le monde de Dieu, personne ne le connaît. On ne peut pas le « dé-finir », puisque marqué du sceau de l’in-finitude et de l’in-temporalité. En posant le cadre où se déroule la justice de Dieu et en décrivant avec précision ses conséquences, le texte coranique exprime dans un langage pédagogique ce qui pour l’homme n’est pas concevable.


          Cette projection remplit deux fonctions. D’une part, elle donne du sens à l’histoire des hommes, les rend responsables de leurs actes, mais aussi libres d’agir en pleine conscience. D’autre part, elle permet de saisir par l’imaginaire ce qui relève de l’insaisissable. Reste que cette projection est souvent paralysante. Non seulement elle fait peur, car l’on n’en saisit pas toujours le sens éthique, mais souvent elle est perçue comme tellement lointaine qu’on oublie volontiers que c’est aujourd’hui que se font les choix. Le jugement de Dieu est toujours « dernier », mais ce jugement a commencé ici et maintenant, aujourd’hui et à tout moment de notre vie. Il fonde une éthique de l’agir ici et maintenant. Le Jugement sera « dernier », mais le choix se fait à chaque instant. Ce n’est qu’à ce titre que cette projection peut être féconde. Et avoir du sens.

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28 juillet 2009 2 28 /07 /juillet /2009 12:39

          Le judaïsme, le christianisme et l’islam, trois religions monothéistes, nées au coeur du Proche-Orient se caractérisent par l’accueil d’une révélation médiatisée par des hommes qui se sont présentés comme les «porte-voix» de Dieu. Ces personnes sont appelées «prophètes». Qu’il s’agisse des propos d’Abraham, de Moïse, de Jésus ou de Mohammed, tous peuvent être teintés de douceur lorsqu’il s’agit de parler de la tendresse de Dieu.

         
          Seulement nous retrouvons également des paroles rugueuses lorsqu’ils se sentent investis d’une mission de réveil, d’avertissement, de rassemblement des hommes pour leur retour dans une voie droite. Des exemples sont donnés dans la dénonciation de l’idolâtrie, l’adoration, la soumission à tout ce qui n’est pas Dieu. Ils ont abandonné leur sécurité, risqué leur vie, accepté de se faire des ennemis, crié contre l’injustice, défendu le pauvre et l’orphelin.  Dans les sociétés dans lesquelles ils sont apparus, ils se sont vite révélés comme étant des «trouble-fêtes», des contestataires de l’ordre (du désordre) établi. Tout particulièrement, ils se sont retrouvés en porte à faux avec les hommes de religion, tous les fonctionnaires du sacré qui avaient pu s’approprier les affaires de Dieu, en tirer profit financier et pouvoir pour eux-mêmes.  Ils ont été aimés par les uns, haïs par les autres par leur volonté de tout subordonner à une parole de vérité. Le prophétisme, ainsi, est incontestablement de nature subversive. Il est, par essence, le contraire du conservatisme.


          Pourtant, toutes les religions prophétiques ont dû s’institutionnaliser afin de s’inscrire dans la durée. Dès lors, la «subversion prophétique» a été canalisée, devenant moins opérante. Elle ne disparaît pas pour autant car étant à la racine même des trois religions révélées, elle ne peut être réduite au silence. Même si elle s’est retrouvée sous le contrôle des clercs, prêtres ou savants, elle n’a cessé de réapparaître sous des formes diverses dans les sociétés  «du Livre». Pour les Musulmans, le temps prophétique  a trouvé sa clôture avec la mission de Muhammad, «sceau des prophètes».


          La dynamique contestatrice ou protestatrice des prophètes resurgit sans cesse, qu’elle s’exprime sous des formes admirables ou perverses. Si les prédicateurs islamistes sont entendus, c’est peut-être parce qu’ils savent se saisir de cette subversion, savent la réactualiser tout en la détournant souvent au profit de constructions idéologiques ou d’une soif de pouvoir. Au risque, donc, de voir un jour la «subversion prophétique» se retourner contre eux aussi.

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13 juillet 2009 1 13 /07 /juillet /2009 17:13

          Disons le d’abord : mon propos n’est pas d’arrondir les angles, ni de brosser le portrait moderne, libéral, démocratique, et gentillet du Réformateur en pasteur végétarien. C’est d’abord de comprendre en quoi la Genève de 1550 n’est pas une « Calvingrad » glaciaire, mais un volcan, une ville en état de révolution, attirant des réfugiés de toute l’Europe, et qu’il a fallu canaliser cette énergie — quand elle n’y est plus on ne comprend pas comment on a pu avoir besoin de canalisations aussi contraignantes, ni l’énergie qu’il a fallu pour briser les liens de l’ancien monde et instaurer nos tranquilles libertés. Calvin malgré lui n’a pas été un humaniste en robe de chambre, mais le refondateur d’une cité-école, d’une internationale entourée d’ennemis acharnés.


          Tout commence avec le sentiment radical de la grâce divine. Quand le cardinal-évêque de Carpentras, Jacques Sadolet, exhorte les Genevois à se soucier du prix infini de leur âme et de leur salut éternel en revenant à l’Eglise romaine, Calvin répond que la question n’est pas là mais simplement d’obéir à Dieu sans s’occuper de soi — seule façon de trouver un rapport authentique à soi-même. La grâce, c’est l’insouci de savoir si on a la grâce. Il faut se vider de tout souci de soi, et de tout souci de son propre salut, et « détourner notre regard de nous-mêmes ». Il ne s’agit plus d’être sauvé, mais de reporter ce souci sur les autres, sur le monde.


          La grâce n’est donc plus pour lui le couronnement de la nature ni de l’histoire, un achèvement, mais ce par quoi tout commence. C’est le perpétuel re-commencement du monde. Tout est par grâce. Le monde n’est qu’un chant, qu’un rendre grâce. En quoi la nature rend-elle grâce ? Comprendre cela c’est comprendre la nature entière. En quoi nos Etats et nos Eglises rendent-elles grâce, les uns par la joie des humains de se témoigner leur amour mutuel, les autres par leur joie commune de chanter la louange de Dieu ? En quoi est-ce que je rends grâce d’exister ? Comprendre ma propre gratitude c’est me comprendre moi-même, de la tête aux pieds.


          D’où l’incroyable énergie que Calvin met à tout recommencer. Comment l’arrêter ? Il n’est pas au port, en train d’arriver, il vient tout juste de commencer. D’où ce titre,
Institution de la religion chrétienne ; carrément. Il s’agit aussi de mettre fin aux dérives qui menacent de l’intérieur la Réforme d’une sorte de dilution dans le n’importe quoi. Il sait que c’est cette menace intérieure qui disperse les forces et la légitimité de la Réforme. Il faut de toute urgence rappeler les limites. On ne peut laisser les dissident dissider tout seuls. Il faut qu’ils dissident et diffèrent ensemble, dans certaines limites.


         C’est ici qu’interviennent les Ecritures rendues à la parole vive et à ceux qui la reçoivent. On sent chez Calvin une confiance immense dans la parole, à elle seule capable d’ouvrir un monde : on se presse au culte, à Genève, on y vient de partout, il faut interdire de réserver des chaises, c’est comme un grand théâtre en train de s’ouvrir autour du Livre, qu’il s’agit d’interpréter, non au sens théorique, mais dans l’existence. Et il ne faut pas s’étonner si les enfants s’appellent Abraham, Ruth ou Samuel : on est « dans » le texte, et l’on s’interprète au miroir des Ecritures.


          Au passage, la langue française s’élargit pour supporter une parole souveraine, une voix dont s’empare des milliers de nouveaux locuteurs. Il faut donc redire que Calvin est un protestant latin, formé au droit romain, penseur de l’institution et de la mesure, faisant rayonner dans l’Europe entière la langue française, et préparant Montaigne et Descartes. Avant Montaigne, Calvin, qui avait étudié Sénèque, se sépare du stoïcisme, dont il trouve qu’il prône un Homme imaginaire, aussi insensible qu’une bûche, et refusant les joies et les tristesses, les passions et les limites de l’homme ordinaire. Avant Descartes, Calvin affirme la transcendance, l’extériorité absolue de Dieu au monde, tout entier devenu mesurable. Calvin, c’est la France.


         Calvin a longtemps réussi à tenir ensemble, par sa
gouaille mordante et l’ampleur ordonnée de ses vues, le camp des rieurs qui se moquent des superstitions et des raisonnements creux des théologiens, et le camp résolu de ceux qui ont retourné leur vie sans crainte de se séparer, parce ce que l’amour de Dieu est plus grand que toutes les observations religieuses dans lesquelles on voudrait l’enfermer. Mais bientôt la panique et la persécution explose, tout bifurque et chacun doit choisir son camp. Calvin choisit l’exil et invente une issue géniale à l’alternative de se révolter ou d’accepter le martyre. Dieu n’est pas enclos dans nos petites cérémonies humaines, il est partout. Les individus sont ainsi déliés pour contracter des alliances nouvelles, des libres alliances, et Calvin prépare ainsi toutes les philosophies du pacte social, de Hobbes à Rousseau, et c’est pourquoi Calvin est plus important pour la pensée politique moderne que Machiavel.


         On voit en Calvin le prototype du puritain austère et moraliste. Mais j
usqu’au début du 17ème siècle, on lui reproche sa vie dissolue, sa débauche, son amour du vin, et il faut mesurer que c’est à cette propagande que Genève a du répliquer, pour montrer que la Réforme ne conduisait pas à l’immoralité, etc. Pour lui on ne peut recevoir cette grâce qu’en manifestant de la gratitude, et il fonde toute son éthique sur cette gratitude. C’est à la gratitude que l’on mesure l’émancipation, l’autonomie d’une sujet, sa sortie de la minorité : un sujet incapable de gratitude est encore puéril, qui croit ne rien devoir qu’à lui-même. Au contraire le sujet se tient « devant Dieu », d’où l’idéal moral de sincérité, si important pour la formation du sujet moderne : ne pas se mentir à soi-même, aux autres ni à Dieu.

Et la pragmatique de l’idée de prédestination chez Calvin, bien loin de ce qu’on croit, indique cette confiance, mais aussi cette limite libératrice : ni les prêtres, ni les rois, ni même les sujets ne peuvent mettre la main sur cette partie de nous qui n’appartient qu’à Dieu, et une réserve est ainsi placée, un voile d’ignorance qui nous redonne chance, puisque jusqu’à la fin nous ne saurons jamais entièrement qui nous sommes, et qu’à la limite cela n’est pas notre affaire. Oui, la modernité toute entière, aujourd’hui si incomprise, est comme contenue dans cet intense commencement.

 

O.Abel, Jean Calvin, Paris : Pygmalion, 2009.

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19 juin 2009 5 19 /06 /juin /2009 20:18

          La plupart des sociétés du monde sont des sociétés où la foi religieuse tient toujours une grande place. Le monde musulman en est particulièrement témoin. Cela n'est plus le cas, en revanche, des sociétés occidentales, qui se montrent des sociétés de plus en plus "sécularisées", c'est-à-dire des sociétés où la place laissée à Dieu est devenue extrêmement réduite. Mais qu'est-ce que la foi religieuse? Une histoire de sentiment ou une histoire de raison? "Il faut bien croire en quelque chose", entend-t-on dire souvent. "Je crois parce que mes parents m'ont transmis leur religion qui était déjà la religion de leurs pères", expliquent certains. "Dans ma vie de foi, je fais l'expérience que ce que je confesse est vrai", ajouteront d'autres.
         
          En fait, beaucoup de personnes qui s'affichent comme "croyantes" ne tiennent pas trop à creuser le "pourquoi" de leur croyance. Avoir foi "en quelque chose", « en quelqu’un » , adhérer sans se poser trop de questions à la religion de leurs pères et de la majorité, s'avère pour eux suffisamment rassurant. Car nous avons besoin de trouver sur notre route humaine des systèmes d'explication du monde. Nous avons besoin qu'on nous fournisse des réponses en face de l'angoissante question de notre origine et en face de celle de notre destinée. En tant que "sujets", nous avons été comme "jetés" sur la terre, mis au monde sans l'avoir demandé. Par qui? Pourquoi? Les grandes religions, l'islam tout particulièrement, offrent des réponses qui peuvent apparaître comme apaisantes. Mais cet apaisement ne peut durer que si nous ne sommes pas trop questionnés. En face de ceux qui doutent, nous ne pouvons pas nous contenter de répondre par des: "C'est ainsi!". Je dois pouvoir exprimer de manière intelligible ce que je crois, en n'en restant pas à mon seul "ressenti", mon seul vécu émotionnel, lequel ne peut pas être transmis à autrui. Car une foi qui ne rend pas compte d'une certaine rationalisation ne peut se dire. Les grandes religions, d'ailleurs, fournissent aux croyants cette rationalisation de la foi. Elles produisent un contenu religieux qui permet à celui qui y adhère de se penser à l'intérieur de ce contenu. Un contenu qui doit sans cesse être interrogé si nous voulons être à la hauteur de l’héritage qui nous est légué...
         
          Au demeurant, personne ne peut croire "tout seul". La foi se communique. Elle est toujours le résultat d'une relation. Je crois à tel contenu de foi, d'abord parce que j'ai foi -- j'ai confiance -- en ceux qui me disent croire en ceci ou en cela. Je peux croire seulement si je m'en remets à la parole d'autres que moi, qu'il s'agisse de la parole d'autres croyants ou de la parole préservée dans un texte comme le Coran. Ce que nous savons réellement au sujet de ce que nous appelons la «foi » est ce que les humains nous en ont dit. De même l’islam est ce qu’un mortel, de son autorité comme prophète, nous a dit qu’il était.

         
          La foi peut se définir ainsi comme "confiance en la confiance d'un autre". Dans le cadre coranique c'est  la figure du prophète qui  ajoute à la "confiance en Dieu". Autrement dit la foi est la confiance dans la confiance que le prophète de l’islam a mis en Dieu.

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9 juin 2009 2 09 /06 /juin /2009 04:03

          Quelle référence religieuse pour l’Europe ? Aucune. C’est le résultat vers lequel nous nous acheminons, et moi je trouve cela magnifique, presque enthousiasmant ! Ce n'est pas seulement cette ambiance nuit du 4 août où nous renonçons délibérément et tous ensemble à nos attachements privilégiés, c’est un geste théologiquement plus profond encore. Car l’image d’une absence de fondation ressemble à celle d’un vide central, qui est le geste fondamental de la démocratie, depuis les réformes de Clisthène dans l’Athènes antique jusqu’à la philosophie politique contemporaine qui cherche à penser la démocratie contre les totalitarismes. Dans le drapeau européen, il n’y a rien au centre, sinon le renoncement simultané de tous à se prétendre au centre ou au sommet : il n’y a rien que l’équidistance à une interrogation, à reformuler sans cesse ensemble. C’est donc là un geste superbe, mais il évoque lui-même le vieux geste monothéiste, l’absence de représentation de Dieu. Or que l’on fasse ainsi cercle autour d’un vide central, d’une absence trop importante, c’est sans doute le plus bel hommage que le Christianisme puisse recevoir. Car ne nous y trompons pas, c’est bien le christianisme qui est comme interdit de nomination. Massivement, historiquement, c’est lui, avec toutes ses hérésies, ses contradictions, ses institutions, ses sagesses et ses folies, ses schismes et ses guerres, ses chefs d’oeuvres et son iconoclasme, ses libertins puérils et ses pionniers puritains, son amour du vin et du porc, c’est lui la culture refoulée dans le silence.


          Les craintes engendrées par le nouvel islam ne sont que de frêles paravents qui cachent mal le refoulement de cette part de nous-mêmes désormais considérée comme honteuse sinon maudite. L’Europe veut bien nommer l’héritage de Rome ou des Lumières, qui ne sont pourtant pas sans avoir produit eux aussi des monstres, mais pas le ou plutôt les christianismes, dont les effets historiques sont tellement immenses qu’on ne les aperçoit même pas tellement on est dedans. Il y a pourtant deux choses qui me mettent mal à l’aise dans cette figure. La première c’est justement que nos démocraties, dans leur toute puissante douceur, sont en passe d’obtenir ce que le communisme n’avait pas réussi : la conservation des patrimoines religieux mis en quelque sorte sous cloche, avec leurs folkloriques croyants, comme on protègerait des réserves d’indiens réduits au mutisme. Non pas que l’on ait besoin du retour d’un religieux qui prétendrait sauver notre société en perte de repères. On entend ce discours chez les protestants américains qui veulent évangéliser l’Europe, chez des orthodoxes qui veulent la sauver du matérialisme, chez des musulmans qui lui reprochent sa débauche, chez d’importants personnages de la hiérarchie catholique romaine. On l’entend même chez des républicains « bon teint » qui estiment qu’il n’y a plus de morale.

          Mais notre Europe méthodiquement désorientée n’est pas tellement matérialiste ni débauchée. La question est ailleurs. Qu’on le veuille ou non, chaque tradition religieuse comporte un régime spécifique d’autorité et de pouvoir, qui en fait un véritable laboratoire politique du futur. Il faut d’ailleurs remarquer que les pouvoirs publics sont très seuls avec certains débats, dès que ceux-ci dépassent la gestion technique : ils manquent d’interlocuteurs qui n’aient ni ambitions ni timidités politiques. Or, contrairement à ce qu¹on croit, les institutions religieuses n’interviennent pas comme de simples groupes de pression. En fonctionnant selon leur propre régime d’autorité, elles aident à formuler des débats, en s’appuyant sur une histoire qui les rend capables de véhiculer de la perplexité, d’élaborer des problématiques, de formuler des désaccords internes. C’est pourquoi je ne souhaite pas que nous soumettions l’ensemble des institutions religieuses au crible des principes démocratiques : pour certaines Eglises ce serait ruineux. Simplement nous ne pouvons pas donner à l’une ou l’autre d’entre elles un statut à part, privilégier un régime religieux d’autorité, alors que c’est leur confrontation qui est inventive. La sécularisation pluraliste dont nous avons besoin, contre les poussées d’inculture religieuse indurées, devrait faire davantage confiance aux religions, comme à quelque chose d’ouvert, de créatif, et d’inachevé. Sans oublier que la théologie est la plus sérieuse discipline de critique des religions que je connaisse - les fidèles des différentes confessions sont souvent parmi les derniers bastions de l’esprit critique.

          Et puis, si nous sommes dans une société pluraliste, c’est bien plus par le long travail du pluralisme religieux que par celui du pluralisme des Etats ou du marché ! Nous avons dû pour cela renoncer à ce mythe double que si nous avions tous le même Dieu nous serions enfin réconciliés, ou (mais c’est au fond la même idée) que si enfin nous étions complètement débarrassés des Dieux nous serions réconciliés. Ce que cette illusion comporte de plus puéril, c'est de croire à la possibilité de débarrasser les sociétés de toute conflictualité. La deuxième chose qui me gêne dans cette absence de référence religieuse, justement, c’est que du coup il n’y a plus de discussion possible. Et comme le remarquait le philosophe Husserl, comment critiquer les résultats si nous oublions les intentions initiales ? Nous aurions ainsi, dans cette fondation absente, un fondement absolument indiscutable ! Or je pense que politiquement cette posture n’offre pas de point d’appui suffisamment concret au débat, à la nécessaire confrontation des traditions dans leur pluralité, dans leur vivacité inachevée. Car l’Europe provient de mille sources, et il faut libérer ces différents héritages, les faire entrer dans une intrigue polycentrique, et renoncer à l’idée qu’il y aurait un seul grand récit commun : l’histoire européenne est une intrigue à plusieurs foyers. Le geste du renoncement simultané devrait ici faire place à celui de la co-fondation.

         Si l’on veut s’installer dans une tranquille confrontation, il nous faut davantage nommer concrètement « les » traditions qui participent de la multiplicité des héritages formateurs de l’Europe, non seulement dans le passé mais aussi en l’ouvrant au futur. Pour l’Europe, aucune référence religieuse, ni catholique, ni protestante, ni orthodoxe, ni juive, ni musulmane, ni aucune autre, aucune référence philosophique ni tradition, que ce soit celle des Lumières ni du Romantisme, de la Renaissance ni du classicisme, de l’Antiquité romaine ni grecque, ne saurait être mise au centre. Mais l’Europe qui s’invente peut fait mémoire de tous ces commencements et recommencements, de toutes ces promesses non tenues. Elle devra les confronter et se réinventer sans cesse à partir de tous ces apports.
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29 avril 2009 3 29 /04 /avril /2009 20:35
           J'ai longtemps cru que c'était moi. On me disait « tu ne sais pas dire non », et même si ce n'est pas très exact, je dois reconnaître que j'ai une sorte de foi intime dans la faculté de dire oui à tout en même temps, d'augmenter la densité des existences, l'imbrication mutuelle de leurs rythmes. J'ai cru ensuite que c'était parce que j'étais protestant, un perfectionniste, une sorte de libre-travailleur dont toute la vie devrait se passer à rendre grâce, à équilibrer par la masse superflues des actions de grâces l'infime et éblouissant « trou noir » de la grâce ! Puis j'ai pensé que c'était parce que j¹étais parisien, pris dans les obligations mirobolantes d'une société de cour et le vertige de ses trop nombreuses opportunités. Enfin je me suis simplement dit que c'était parce que j'étais un intellectuel, dont le métier consiste à tisser inlassablement la langue commune, à répéter les mêmes mots selon toutes les connexions possibles, ce qui fait beaucoup.
Maintenant je ne crois plus rien de tout cela : dans tous les milieux, dans tous les métiers, je rencontre des sujets à la limite de la surcharge, incapables de supporter le nombre de « demandes » auxquelles ils doivent répondre. Incapables de soutenir à eux seuls autant de connexions. Nous sommes comme ces joueurs placés dans un jeu virtuel où, ayant réussi à renvoyer correctement une balle, on vous en envoie trois, huit, quinze : on se fend en quatre, on y arrive, on s¹améliore, mais soudain non, c¹est vraiment pas possible, on craque, on ne peut plus. Nous  ne parvenons plus à comprendre ce qui nous arrive ni à sentir ce que nous faisons. C¹est ainsi que nos contemporains « disjonctent » de temps en temps, un par un, sans parvenir à s'arrêter, et tranquillement à s'arrêter ensemble.

          Cela s'est passé doucement. Nous avons déployé la liberté de choisir nos combinaisons, nos conditions. Puis nous avons compris que cette liberté déterminait une augmentation extraordinaire de la responsabilité, et nous avons célébré l'avènement de l'individu responsable, capable de s¹impliquer en même temps dans plusieurs jeux, de se plier simultanément de lui-même au plaisir et à l¹excellence de plusieurs règles. Alors nous avons compris que cette liberté pouvait être angoissante, et que cette responsabilité pouvait être épuisante. C'est bien là quelque chose comme le rythme intime de notre découragement général.

          Mais je pense désormais que ce qui nous arrive est plus grave que cela. Car le découragement est simplement humain, et il fait partie du courage. Or ici nous avons affaire, nous le sentons physiquement, à quelque chose qui est probablement inhumain. Le processus d'ouverture généralisée des communications entre toutes les entités capable de recevoir et d¹émettre (personnes privées, institutions de toutes sortes, médias, musées, bibliothèques, laboratoires, entreprises, administrations, etc.), à l¹échelle de la planète entière, ne peut plus prétendre promouvoir l'humanisme, la gentillesse de l'échange ni la communication sans entrave qui n'exclurait personne.

         C'est un processus communicationnel d'essence technologique et connectique, qui est en train de prendre son Développement (c'est le nom que l'on donne à la chose) tout seul et de manière autonome par rapport à tous les intérêts de l'humanité. C'est un processus qui a commencé à pousser au détriment de la vie, des vertébrés, des mammifères et des humains pour libérer peu à peu sa complexification (sa faculté de tenir compte du maximum d'éléments de l'environnement et d'obliger le maximum d'éléments de tenir compte de lui), de gré ou de force. C'est un processus inhumain, qui a déjà commencé à abandonner comme inutile une partie de l'humanité (le quart monde de la misère), et une partie de nos corps (remodelage des sexes et de la génération, télécommunications et techniques d'identification implantées dans le corps, neurosciences, etc.). Ce processus « manage » peu à peu la forme de nos sociétés et de nos existences, pour préparer ceux d'entre nous qui pourront encore lui servir à quitter une condition terrestre d¹avance condamnée.

         Certes un intellectuel parisien et protestant a quelque raison de sentir physiquement la contrainte de ce processus, qui a déjà rétabli dans presque tous les métiers l'antique dualité du maître et de l¹esclave. Mais un entrepreneur bouddhiste ou une paysanne brésilienne éprouvent la même accélération, et soudain le même doute. Mais pour qui, pour quoi travaillons nous, nous agitons-nous, nous forçons nous ainsi ? On croit parfois identifier le tyran, le coupable de cette mortelle pression. Ce peut-être le marché, l'argent, l'audimat, l'État, Dieu, un patron, un conjoint, le futur, le passé, que sais-je ? On rompt avec lui, on le jette le plus loin possible. Et rien n'a vraiment changé. Nous sommes tous subjugués par ce joueur de flûte qui nous entraîne où nous ne savons pas, nous avons seulement eu le temps de comprendre que cet inhumain-là n'est pas Dieu.
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26 avril 2009 7 26 /04 /avril /2009 09:38
Les débats sur la construction européenne auront du moins permis à certains de tomber les masques. Et de nous faire profiter du spectacle. Pas réjouissant. Un parlementaire européen – italien – vient de nous faire partager ses hautes vues théologico-oiseuses : « je ne dis pas que l’homosexualité soit un crime, mais je pense qu’il s’agit d’un péché ». Nous voilà bien fixés sur les combats qu’il reste à mener, notamment contre l’obscurantisme catholique et les influences qu’il garde au sein des instances dirigeantes. Cette pensée qui pousse certains à définir l’Europe comme un club chrétien, ou plus précisément comme un club catholique, devient le rempart de ceux qui ont peur. C’est une pensée frileuse qui renaît. Devant la peur de l’autre, le différent, certains pensent trouver en une forme de christianisme le moyen de se réchauffer, le moyen de rester entre soi, bien au chaud de ses certitudes, que certains disent millénaires. Le huguenot, que j’ai choisi d’être, fulmine.

          Non ! L’Europe ne peut être un club chrétien. Elle est à la croisée de christianismes multiples bien sûr, mais aussi d’humanismes, de lumières, de droits de l’Homme, de formes différentes de laïcité. Elle est bien d’autres choses encore. Et son histoire, sa construction n’est en rien d’origine médiévale, loin s’en faut. Car n’en déplaise au sacristain qui passait ce jour-là, ce sont les rails de la SNCF qui font, ont fait, la France qui nous occupe au sein de cette Europe. Ce sont les écoles communales et leurs professeurs, pas celle de monsieur le curé. Ce sont les bureaux de poste. Et ce sont ces bureaux de poste, ces écoles et ces voies ferrées qui feront l’Europe de demain – services publics qu’il nous faut d’ailleurs absolument protéger contre les attaques dont ils sont sans cesse l’objet. Mais le sacristain – toujours lui, bien sûr – ne voit que son chemin, que son idée. Il n’a que faire des bureaux de poste. Il n’a que faire, même, d’un autre christianisme qui ne voit pas en l’homosexualité un péché ou quoi que ce soit d’autre. Mais le sacristain veut son Histoire. Il n’à que faire de l’air du temps.

          Quoi qu’il en soit, avec comme dirigeants des personnages à ce point rétrogrades et entêtés, nous aurions bien raisons de nous alarmer sur la teneur des débats à venir. Rien de bien joyeux au demeurant, et il ne fera pas bon parler de liberté de conscience dans une Europe à la pensée sclérosée par son manque de mémoire ou par sa mauvaise foi. En effet, par une telle déclaration : «  je ne dis pas que l’homosexualité soit un crime, etc.… », ce sont beaucoup de nos valeurs qui s’effondrent. Venue de l’un de nos dirigeant, à fortiori de l’Europe d’aujourd’hui, de demain, la déclaration peu donner des sueurs froides bien au delà des frontières que certains veulent donner à cette Europe. Nous n’avons plus rien à craindre de la Turquie, c’est sûr : tout est déjà là de nos inquiétudes, si nous en avions. Aux dernières nouvelles, un autre parlementaire européen – italien, lui aussi – exprime son désir de ne plus voir de femmes à l’écran, passée une certaine heure !!!

          Nous avons donc à préserver, sans rire : la liberté de conscience, la liberté de ne pas se voiler la face, même tard le soir, la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, la liberté de choisir son partenaire, la liberté de confier nos gosses à des professeurs de la République, la liberté de ne pas s’agenouiller devant une croix, la liberté de divorcer, de se remarier, la liberté d’être enterré comme on le souhaite, la liberté de se moquer de tout, la liberté d’être rose, rouge, vert, jaune ou mauve, la liberté de rire, la liberté de vivre. La liberté de dire au curé de service de retirer sa soutane dans les lieux sacrés de la république. Et de ne pas souiller ces lieux sacrés de paroles homophobes et sexistes.
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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 18:34

          Le plus grand péril qui nous menace, me semble-t-il, n’est pas celui des nouvelles guerres de religion. Comme le remarquait Nietzsche, elles montrent au moins que les peuples peuvent avoir des idéaux et prendre les idées au sérieux ! C’est au contraire, comme on l’a remarqué souvent et j’enfonce ici avec aisance une porte ouverte, l’illusion de croire que l’on peut changer de religion comme de chemise, zapper de l’une à l’autre, dans une sorte de tourisme perpétuel. Comme si un billet d’avion pour le Népal, un superbe documentaire sur le chamanisme yakoute, ou même la lecture assidue des poètes soufis, suffisait à nous faire passer de l’autre côté de l’horizon, suffisait à déplacer les bornes du moi. Malheureusement le touriste le plus intrépide transporte encore l’exiguïté de son moi avec lui, et l’élargissement du moi n’a rien à voir avec la multiplication des déplacements. Théodore Monod, resté un petit protestant français alors qu’il a tant marché sous les cieux du Sahara, disait qu’il n’avait pas encore assez gravi son propre côté de la montagne pour contempler les autres côtés !


          Je dis tout cela pour que l’on prenne au sérieux (mais sans aller jusqu’à la guerre sainte !) ce que je souhaite dire maintenant, car je voudrais faire un éloge de la conversion. Toute démarche religieuse, aussi fidèle soit-elle et peut-être d’autant plus, comporte quelque chose comme une conversion intime et radicale. Cette conversion peut être discrète, et passer au début inaperçue de la personne elle-même, comme si elle avait atteint un point de retour, un point à partir duquel elle revient sur ses pas, se retourne et mesure l’importance de ses attachements. Cette conversion peut être fracassante, comme une rupture, la résiliation de tout ce dont on ne veut plus, la déliaison avec le poids d’un passé ou d’une dette, une fidélité effrayante qui nous fait sombrer, qui va nous noyer ! La fidélité vive connaît la tempête, le point de non-retour ou l’inversion de la boussole après lequel on ne sait plus si l’on est chez soi ou ailleurs : où donc est-on chez soi ?

          Si je fais un éloge de la conversion, c’est que la foi n’est pas pour moi une question d’identité. Il y a des moments où l’identité n’est vraiment pas ce qui importe ! La réduction sociologique  actuelle des religions à des problèmes d’identité est vraiment dérisoire : qu’est-ce que Dieu peut avoir à foutre de nos petites identités ! Je ne prône pas pour autant, on l’aura compris, un éloge de la conversion « comme de chemise » ! Certains pratiquent ce sport cosmétique avec entrain. Mais quand on est « born again » pour la quatrième fois, un peu comme la madeleine de Proust qui finit par perdre sa puissance d’évocation, la conversion peu à peu se désenchante. C’est peut-être que l’on n’a pas pris au sérieux l’importance et la difficulté de l’abjuration.

          Or il est impossible de faire un éloge de la conversion sans faire un éloge de l’abjuration ! C¹est pour moi un caractère central de la foi chrétienne que la possibilité d¹abjurer - et l’histoire entière de l’Occident est marquée par le déploiement de cette possibilité qui était inscrite sur le programme de départ. Le « droit » de rompre, l’autorisation proprement théologique de se délier d’un voeu, d’une promesse qu’on ne veut plus tenir, est pour moi une forme du pardon, et peut-être ce qui donne à toute promesse sa véritable force. Les apôtres n’ont-ils pas tous été des « traîtres » ? Mais n’y a-t-il pas un point à partir duquel la fidélité comprend la trahison ? En tous cas, et plutôt que de passer l’abjuration par pertes et profits de la mauvaise conscience, nous devons faire ensemble l’éloge de ce « droit de sortir » sans lequel le droit d’entrer perd son sens, son libre don de soi. Et nous devons prendre l’abjuration avec sérieux et délicatesse : on n’abjure pas comme on change de chemise !
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26 mars 2009 4 26 /03 /mars /2009 23:50
Voici venu le temps du Carême. Quarante jours de modération, dans notre alimentation bien sûr, mais aussi dans nos paroles, dans nos colères illégitimes au profit de colères légitimes. Mais également quarante jours d’une longue méditation. Souhaitons que dans nos yeux, au bout du compte, transparaissent plus souvent des regards de bonté, de compassion. Surtout envers celui qui nous a blessé, parfois sans le savoir.
« Seigneur ! Ecoutes les maux du monde. Et portes notre désarroi. Prends pitié de nous pour nos violences, notre inhumanité, les cœurs que nous avons brisés. Et vois comme nous sommes aussi propre à pleurer, donc à saisir toutes les douleurs du monde. Guides-nous vers des lendemains radieux où l’Homme ne sera plus ennemi de l’Homme, mais en paix avec lui-même. Loin du mépris, de la connerie et de la haine. Loin de la guerre, l’humanité rendue au rang de bête immonde, loin de ce qu’il est hélas convenu d’appeler, depuis longtemps déjà, la déshumanité.
            Soit dans nos cœurs, et porte encore la croix que nous portons, toi qui l’as déjà portée. Car nous savons que tu t’es fait chaire pour que nos sentiments se transforment pleinement par le chagrin, les larmes, et le bonheur aussi. Saisis notre faiblesse et, comme toi seul peux le faire, transformes-là en ce qu’elle est naturellement : notre force. Oui, notre force est dans notre faiblesse. Fais qu’à notre tour, nous en soyons convaincus. Laisses-nous poser les armes qui tuent le monde créé et rends-nous à nous-mêmes. Laisses nos désespoirs faire de nous des « artisans de paix ». Des artisans de ta paix.
            Tu sais comme nous désertons les églises, tu sais qu’on ne lit plus l’évangile. Mais tu sais aussi que nous t’aimons. Alors, par l’immensité de ton amour, modifies en profondeur nos personnes, au sein de ce monde, sans refuge autre que toi, pour qu’elles accèdent à la conscience de ta beauté, de ta bonté ».
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Proposition

          De la folie d'amour, qu'est-ce qu'on a fait ? Cette fadeur qui nous étouffe et qui nous tue. Il faut que cela cesse. Il nous faut vivre éternellement la grâce et ne plus avoir peur. Toujours être pour l'autre ce que l'on est vraiment. Ne pas dire non, jamais. Et puis s'abandonner, brûler de tous les feux ; à en mourir. Et en mourir. De l'énergie qui en découle créer le beau. Sans concession, s'abandonner à l'autre. Émouvoir la nature au point de la faire suffoquer peut-être.
          Car enfin, pourquoi donc on s'obstine à dire que l'on ne s'aime pas ? C'est quoi ce besoin de pleurer seul, cette peur ? C'est le mystère.
          On meurt des temps figés, des questions inutiles, des engagements faciles. Mais rien n'empêchera jamais les méchants d'être méchants, la bête immonde d’être à certains vitale, le malsain d'être immuable. L'arme absolue ne combat plus que l'innocence et, pacifiés, nous sommes l'agneau face au couteau.
          C'est la mélancolie qui nous sauvera, un jour, tout à la fin, de tout ce miasme incohérent et sans visage, de cette horreur qui fait pleurer, de cette souffrance. C'est de cette paix qu'il nous faut, le coeur attendri de soi-même et des autres, de cet appel où tout s'effondre pour renaître.

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