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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 12:43

               Quoi de plus fragile aujourd’hui que la notion de « cité », au sens fort de la « polis » grecque ! Et que peut signifier la citoyenneté dans les tourbillons de la mondialisation ? Peut-on se sentir citoyen d’une cité, d’une société humaine donnée, en sachant qu’elle n’existe que parmi d’autres, et dans un horizon désormais planétaire ? En sachant que nous appartenons diversement à des « communautés » qui sont autant économiques et culturelles que politiques, et qui ne se recoupent pas forcément ? La citoyenneté que nous cherchons tient pourtant d’abord à la faculté précieuse de dire « nous ». Mais qui peut dire « nous » ? Peut-être ceux qui ont le civisme assez solide pour envisager de demeurer de vrais citoyens en dépit du sentiment que la cité se défait, ou pour envisager à rebours que les institutions de la cité doivent demeurer sauves, en dépit de la faiblesse et de la défection des citoyens. En ce sens, la société ne tient encore que par le civisme discret de tout ceux qui ont refusé de céder à la panique et au pillage du « chacun pour soi ». On est citoyen en éprouvant non seulement une responsabilité de ce qu’il y a de vulnérable chez les plus faibles d’entre nous, mais de ce qu’il y a de fragile dans nos institutions. Nul ne peut être citoyen tout seul, mais il arrive ainsi que l’on soit citoyen en l’absence de cité, citoyen d’une cité déjà effondrée, ou d’une cité encore absente.


            Mais il y a un paradoxe civique. On peut entendre le civisme comme ce qui oriente de l’intérieur les grandes options juridiques et politiques de notre société, pour y apporter notre voix, notre approbation, notre participation. On peut entendre aussi parfois le civisme comme une attitude morale qui résiste de l’extérieur aux abus, aux injustices et aux humiliations de nos sociétés, et au dévoiement de nos institutions quand celles-ci exercent un pouvoir sans contre-pouvoir. La citoyenneté vigilante peut alors aller jusqu’à prendre la forme de l’objection de conscience. La première attitude est le cœur du civisme, et si nous ne voulons pas nous laisser submerger par une forme de société apolitique, où les lois seraient moulées dans des dispositifs purement techniques de surveillance et de contrôle : il ne peut y avoir de citoyenneté que dans une société où les règles demeurent morales et politiques, j’entends fragiles, susceptibles d’être transgressées, sous la seule protection des citoyens. Mais d’un autre côté, si la rationalisation de l’Etat et la démocratisation ont longtemps convergé, et de l’intérieur le contrôle démocratique augmentait, désormais ils semblent diverger : un Etat rationnel n’est plus forcément démocratique, et c’est de l’extérieur qu’il faut des tiers vigilants, des citoyens compétents et courageux.


           Puis-je soulever une troisième question, d’autant plus sensible que la citoyenneté se trouve empêtrée dans des contradictions et des conflits entre des échelles différentes, locale, nationale, européenne, planétaire ? Il peut y avoir conflit entre des formes de citoyenneté politique classique, de civisme institutionnel supra-national, de civisme économique face aux divers capitalismes en concurrence (avec les formes de société et de culture qui y sont arrimées), sans parler de la citoyenneté écologique qui me semble aujourd’hui devoir être prioritaire. Or le civisme consiste ici à équilibrer les sphères les unes par les autres. Il ne faudrait pas, par exemple, que la hantise parfois excessive de la pauvreté nous rende tellement sensibles à l’injustice sociale et économique, à l’ « exploitation », que nous oublions les ravages de la force et de l’ « oppression » proprement politique, où l’on se trouve démuni du sentiment même de pouvoir être citoyen ; et peut-être pire encore aujourd’hui, le désastre de cette « aliénation » culturelle par laquelle des cultures vivantes sont séduites et vidées de leur substance vive. La citoyenneté ne se bat d’ailleurs pas seulement contre les injustices, mais contre les humiliations qui rongent plus profondément encore la société : l’humiliation d’être inutile et inemployable, l’humiliation d’être soumis sans avoir rien à dire ni à faire, l’humiliation de n’avoir plus aucune foi en rien. Etre citoyen, c’est détester cette triple-humiliation, et tout faire pour en rompre le maléfice.

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Proposition

          De la folie d'amour, qu'est-ce qu'on a fait ? Cette fadeur qui nous étouffe et qui nous tue. Il faut que cela cesse. Il nous faut vivre éternellement la grâce et ne plus avoir peur. Toujours être pour l'autre ce que l'on est vraiment. Ne pas dire non, jamais. Et puis s'abandonner, brûler de tous les feux ; à en mourir. Et en mourir. De l'énergie qui en découle créer le beau. Sans concession, s'abandonner à l'autre. Émouvoir la nature au point de la faire suffoquer peut-être.
          Car enfin, pourquoi donc on s'obstine à dire que l'on ne s'aime pas ? C'est quoi ce besoin de pleurer seul, cette peur ? C'est le mystère.
          On meurt des temps figés, des questions inutiles, des engagements faciles. Mais rien n'empêchera jamais les méchants d'être méchants, la bête immonde d’être à certains vitale, le malsain d'être immuable. L'arme absolue ne combat plus que l'innocence et, pacifiés, nous sommes l'agneau face au couteau.
          C'est la mélancolie qui nous sauvera, un jour, tout à la fin, de tout ce miasme incohérent et sans visage, de cette horreur qui fait pleurer, de cette souffrance. C'est de cette paix qu'il nous faut, le coeur attendri de soi-même et des autres, de cet appel où tout s'effondre pour renaître.

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